Mardi, c'est le jour d'entraînement spécial merlans. Nous sortons après la fermeture des salons de coiffure et rentrons souvent vers 21heures. Les deux coiffeurs, les femmes et d'autres coureurs plus occasionnels participent à cette virée vespérale.
Depuis septembre, nous continuions nos galopades sur le bucolique circuit d'été, le temps était au beau et les entraînements avaient encore un parfum de vacances.
Ce soir, c'est la première fois que nous reprenons notre circuit urbain. Drôle de reprise : Allain et sa femme sont forfaits pour cause de crève et ma Josette a mal à la gorge. Le jeune Philippe s'est blessé au semi d'Argentan et Reinette ne sort pas par temps de pluie.
Me voilà courant dans les rues de la cité en compagnie d'Hervé, jeune V1 et nonobstant coiffeur. L'automne a étendu ses voiles de douce mort pour la première fois sur notre tendre Normandie et je la sens frémir. Ce n'est pas le froid, ce n'est pas la peur, c'est le simple plaisir d'être.
La pluie tombe sans discontinuer, la pluie qui enfouit la vie petit à petit dans le sol pour qu'elle rejaillisse un autre jour dans toute sa modeste splendeur.
Le grand blond et le petit brun sont aux anges, il pleut, leurs tenues sont trempées et ils sourient. L'eau pénètre les vêtements, l'eau pénètre les âmes et nettoie les corps fatigués par le travail, la vie ou la douleur d'exister.
L'allure est souple et soutenue mais sans fatigue; la fraîcheur est pour nous économie d'énergie, l'humidité est pour nous respiration facilitée.
Nous cheminons à bonne allure parmi les quartiers déserts de la cité somnolente : Le marais, le ghetto, le cimetière, la vieille ville. Les rares passants que nous croisons ne comprennent pas notre bonheur; soit ils proviennent de plus glorieux soleils, soit ils ont oublié le subtil frisson occasionné par l'amoureuse morsure du froid.
La parole est là mais les calembredaines habituelles cèdent la place à d'apaisées discussions.
Enfin, face à l'église flamboyante, nous sacrifions au rite du sacro-saint sprint sur les pavés dont les plus vieux connurent l'enfance incroyablement lointaine du Lutin.
Je serre la main à celui qui fut pendant une heure un peu plus qu'un camarade par la magie d'une osmose silencieuse.
La pluie redouble d'efforts pour me combler et je choisis de parcourir le dernier kilomètre solitaire en marchant. Je veux ressentir plus intensément la nuit, le silence, la pluie, le froid...
Mes muscles se relâchent, mon esprit s'ouvre encore plus; je me laisse pénétrer par l'automne...
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