Le
fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce
que la rage est à la colère. Celui qui a des extases, des visions, qui
prend des songes pour des réalités, et ses imaginations pour des
prophéties, est un fanatique novice qui donne de grandes espérances ; il
pourra bientôt tuer pour l'amour de Dieu. (...)
Il
n'est d'autre remède à cette maladie épidémique que l'esprit
philosophique, qui, répandu de proche en proche, adoucit enfin les mœurs des hommes, et qui prévient les accès du ma l; car dès que ce mal
fait des progrès, il faut fuir et attendre que l'air soit purifié. Les
lois et la religion ne suffisent, pas contre la peste des âmes ; la
religion, loin d'être pour elles un aliment salutaire, se tourne en
poison dans les cerveaux infectés. (...)
Les lois sont encore très impuissantes contre ces accès de rage : c'est comme si vous lisiez un arrêt du conseil à un frénétique. Ces gens-là sont persuadés que l'esprit saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est la seule loi qu'ils doivent entendre. Que répondre à un homme qui vous dit qu'il aime mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? Lorsqu'une fois le fanatisme a gangrené un cerveau, la maladie est presque incurable. (...)
Ce sont presque toujours les fripons qui conduisent les fanatiques, et qui mettent le poignard entre leurs mains ; ils ressemblent à ce Vieux de la montagne* qui faisait, dit-on, goûter les joies du paradis à des imbéciles, et qui leur promettait une éternité de ces plaisirs dont il leur avait donné un avant-goût, à condition qu'ils iraient assassiner tous ceux qu'il leur nommerait. (...) Les sectes des philosophes étaient non seulement exemptes de cette peste, mais elles en étaient le remède; car l'effet de la philosophie est de rendre l'âme tranquille, et le fanatisme est incompatible avec la tranquillité. (...)
Extrait de : Voltaire, Dictionnaire philosophique portatif, 1764
*Voltaire fait ici référence à la secte de Hassan ibn Sabbâh (fin XIe-XIIe s.) connue sous le nom secte des Assassins. Le mot proviendrait de asâs, qui signifie base , fondement (de la Foi) et non de haschisch comme certains auteurs occidentaux l'ont suggéré.
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