Ayant longtemps enseigné la grammaire et l'orthographe aux petits lutins, j'ai toujours été chatouilleux et méfiant en ce qui concerne toute réforme visant à modifier ce que l'on a mis des siècles à fixer. C'est pour cela que j'ai traité par le mépris la réforme de 1990 qui ne faisait que prêter à confusion : passe pour écrire évènement à la place d'événement mais que dire de féérie à la place de féerie, des fées, j'en connais mais pas des féés ! C'est vrai que nénuphar est une erreur des grammairiens du passé (nénufar est un mot persan donc pas de ph grec) mais dans ce cas-là, écrivons camellia (terme scientifique) puisque camélia est à la base une faute d'orthographe d'Alexandre Dumas fils. Et l'accent circonflexe, on le vire bien des u et des i mais seulement quand il n'y a pas de risque de confusion (du et dû par exemple). Pareil pour les verbes en eler et eter, on supprime la consonne double sauf quand ce sont des verbes courants. En gros on rajoute de nouvelles règles avec de nouvelles exceptions... Super la simplification !
Voilà pourquoi, au début, j'ai trouvé ridicule qu'on essaie de féminiser à marche forcée certains termes masculins. Pourquoi pas une maçonne qui monte un mur de briques mais qu'elle se soit portée acquéreuse de ciment m'arrachait un peu les tympans. Et pourquoi docteure (université et médecine) alors qu'on avait déjà doctoresse (médecine seulement) ?
Cela dit, je me suis documenté et suis tombé, entre autres, sur les travaux d'Aurore Evain qui a enquêté sur le devenir du mot "autrice" que je pensais être un simple néologisme égalitaire. C'est ainsi que j'ai découvert qu'en latin existaient bien les termes d'auctor et auctrix et que de ce dernier se forgea le mot autrice qui fut employé durant tout le Moyen-Age ainsi qu'à la Renaissance.
Si au Moyen-Age l'acception d'autrice était légèrement différente, dès la Renaissance on parla d'autrices en tant qu'écrivaines.
Et puis... et puis arriva le XVIIème siècle et la création de l'Académie Française (1634) gérée uniquement par des hommes. Il y eut un long débat épistolaire entre des écrivaines comme Marie de Gournay (1565-1645) et des écrivains comme Guez de Balzac (1597-1654) surnommé "le Restaurateur de la Langue Française" et, devinez qui gagna à la fin ?
C'est ainsi que, en 1694, quand le premier dictionnaire de l'Académie Française parut, un certain nombre de termes féminins s'évanouirent dont le terme autrice qui recouvrait une profession trop noble pour posséder un féminin, semble-t-il.
On voulut bien concéder l'usage du mot actrice pour comédienne car celle-ci interprétait les textes d'auteurs supposés masculins alors que des autrices dramaturges ont bien existé à la Cour de Versailles comme Catherine Bernard (1662-1712) tout comme des compositrices comme Elisabeth Jacquet de la Guerre (1665-1729) ont bien œuvré lors du Grand Siècle.
Le XIXème siècle n'étant pas vraiment un siècle féministe, les mauvaises habitudes se sont pérennisées. Et c'est ainsi qu'in fine, plusieurs générations abreuvées au Lagarde et Michard depuis 1948 n'ont eu que des auteurs de romans, de poésie et de théâtre à se mettre sous les mirettes. Exit nombre d'autrices oubliées ou dont le nom est juste évoqué comme la remarquable poétesse Louise Labé (1524-1566) :
Baise m'encor, rebaise-moi et baise ;
Donne m'en un de tes plus savoureux,
Donne m'en un de tes plus amoureux :
Je t'en rendrai quatre plus chauds que braise.
Donne m'en un de tes plus savoureux,
Donne m'en un de tes plus amoureux :
Je t'en rendrai quatre plus chauds que braise.
Lagarde : - Je ne sais pas ce que vous en pensez cher collègue mais ce genre de poésie ne me semble pas convenir aux jeunes esprits...
Michard : - Tout à fait d'accord cher ami, il ne manquerait plus que les jeunes filles lussent ce genre de vers et, s'échauffant la bile, en vinssent à jeter leurs soutiens-gorge au visage de leurs professeurs.
Dès les années 70, curieux de nature, je m'étais bien posé la question : pourquoi n'y a-t-il pas plus de femmes dans les Arts ? J'ai entendu maintes fois cet argument : "Elles ont la maternité, cela leur suffit, elle n'ont pas besoin de créer." La réponse est maintenant plus évidente : les femmes qui, malgré les restrictions de leur temps, ont réussi à créer ont été largement effacées de la mémoire collective et le nettoyage a même eu lieu au niveau du dictionnaire.
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Les travaux d'Aurore Evain m'ont permis de me rappeler quelques quasi-disparitions de termes féminins que j'avais effectivement remarquées. En guise de conclusion, j'en citerai deux :
Matrimoine (orthographié matrimoyne) cité entre autres dans un livre sur les coutumes anglo-normandes du XIème au XIVème siècle. (David Houard 1776) ou dans un contrat de mariage en Anjou (1619)
Concernant matrimoine, je ne résisterai pas à livrer cette citation de l'Echo de la Mode du 21 janvier 1968 (p69) qui pensait le terme récent :
Matrimoine, subst. masc.[Sur le modèle de patrimoine] Le
«matrimoine»? un mot fabriqué qui restera dans les dictionnaires sous
cette définition simple: tout ce qui dans le mariage relève normalement
de la femme.
Trobairitz : Ces femmes nobles poétesses des XIIème et XIIIème siècles ont existé parallèlement aux Troubadours mais le terme Trobairitz est tombé en désuétude alors que celui de Troubadour a traversé le temps sans encombre.
Pour les Trobairitz, voir cet article du Lutin.
Pour les Troubadours, voir cet autre article.
très intéressant, merci beaucoup ! Autrice est donc grammaticalement juste, mais à vrai dire je n'en doutais pas. Il faut juste que je m'habitue !
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