Il était né dans un bâtiment de ferme un jour glacial de février. Si petit, si chétif que le médecin venu constater sa naissance dit à la femme venue assister la mère : "Il ne survivra pas". On était en 1951 et il valait mieux ne pas être de petite condition et loin de la ville. Les couveuses étaient réservées à d'autres plus forts ou de plus haute naissance.
Mais les petits et les pauvres ont parfois des ressources insoupçonnées et une obstination à vivre hors du commun. A l'époque où l'on célébrait les surhommes qui venaient de vaincre l'Annapurna, lui avait réalisé un exploit que peu de sportifs hors normes auraient accompli : contre toute attente, la vie chevillée au corps, il avait survécu. Survécu grâce à une mère qui ne savait pas ce qu'était lâcher prise et qui lui avait fait un nid de coton pour l'abriter du froid, le nourrissant nuit et jour toutes les deux heures à la petite cuillère, ce Héros de la Vie n'ayant pas la force de téter.
Il avait tout donné lors de ses premiers mois et, s'il resta toute sa vie le plus fragile de la fratrie de cinq, il eut la place qu'il méritait à égalité de celle des autres.
Il n'était pas petit, il n'était pas pauvre, il était modeste et discret. La société ne lui avait pas fait de cadeau, il avait travaillé toute sa vie d'ouvrier sans jamais connaître le chômage, sans jamais demander d'aide quelconque. Il savait compter sur le soutien d'une famille unie, un trésor que bien peu de surhommes possèdent.
Discret, oui il l'était. Je me moquais parfois gentiment de lui qui apparaissait ou disparaissait lors des réunions de famille sans que personne ne s'en aperçoive. Je le traitais de fantôme et ça le faisait sourire. Sans bruit, sans déranger quiconque, il faisait sa vie.
Tout le monde l'aimait bien, lui qui ne refusait jamais de donner le coup de main, lui qui ne savait pas dire non. Les enfants l'appréciaient particulièrement, c'était un tonton gentil et reposant, dépourvu d'agressivité. Il ne ressemblait pas aux parents que le poids des responsabilités rendait parfois rugueux et autoritaires. Tonton Joël était le tonton célibataire, toujours là aux fêtes de famille. Ses neveux l'aimaient car ils le sentaient proche d'eux.
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Cette saleté de cigarette m'a déjà enlevé un frère, elle emporte maintenant mon beau-frère. La vie n'est rien sans la mort, c'est un passage pour certains, un fin pour d'autres. Je viens d'arriver dans la chambre après avoir garé ma voiture, mon épouse est là ainsi que sa mère.
La fin tient parfois à peu de choses, un sifflement émis par une machine et c'est terminé. Tonton Joël est parti discrètement, comme il avait vécu. Sa mère lui tenait la main. Quelques larmes coulent, mes yeux rougissent mais je garde ma contenance. Un frère est parti dans le calme et la dignité entouré de personnes qui l'aimaient.
Photo Lucas
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