Traileur pour Dames
Voilà neuf ans, je me vautrais lamentablement au 42ème km du trail de Guerlédan en centre Bretagne. J'avais réussi jusqu'ici à me tenir éloigné d'une épreuve me laissant le souvenir cuisant d'un abandon qui m'avait valu lazzis, quolibets et autres railleries de la part de mes compagnons Écouviens.
Mais voilà, Cathy, ma presque petite sœur, est native de la région et elle rêvait depuis longtemps de courir ce trail dominical annoncé à 58 km ; quant à Josette, ma chère épouse, elle avait depuis un moment très envie de courir à nouveau un trail digne de ce nom malgré des adducteurs rebelles et souvent douloureux. Son choix s'étant porté sur le trail du samedi annoncé à 26km, j'étais dans une situation cornélienne : Épouse ou Petite sœur ? Fromage ou dessert ? Vin rouge ou vin blanc ?
Comme à l'accoutumée, le Lutin qui sommeille en moi (juste à côté du cochon) a répondu : "Les deux mon général !
Samedi 23 mai : 27,8 km (ben si !)
Nous sommes dix Écouviens à participer à un trail ou un autre, je suis le seul glandu du groupe et le plus âgé des hommes à courir les deux ! Le départ est donné à St Aignan, en pleine campagne, histoire de fluidifier le peloton. Oui, mais ça commence par 1,5 km de mur sur lequel il est hors de question de courir, résultat, dès la première descente, on se croirait un vendredi soir en région parisienne.
Prenant son mâle mal en patience, mon épouse attend sagement que ça se tasse, imitée en cela par ses copines Annick, Laurence (dont le mari, Stéphane galope devant) et Carole.
Grand bien leur fasse ! Le terrain, au bout de quelques kilomètres, devient terriblement difficile ; les murs succédant à d'autres murs sans vraiment de répit propice à la récupération.
Dernier épisode de plat : la traversée de l'Anse de Landroanec qui se fait cette année à pied sec, le lac étant (peut-être pour la dernière fois) entièrement vidé. Un bref épisode de marais et nous nous engageons pour 19 km de montagnes russes. Devant ménager ses adducteurs, mon épouse se laisse distancer un moment par les copines, affrontant vaillamment les difficultés. Je remarque dès ce moment que maints gens qui l'entourent dont certains, bien plus jeunes qu'elles, soufflent et ahanent alors que le palpitant de ma chère Josette pulse tranquillement et je me dis que, vraiment, dans les années 50, on savait faire des moteurs de qualité.
La suite va être très dure et sans possibilité de récupération avant le premier ravitaillement situé assez loin. Le paysage est cependant magnifique et spectaculaire, a fortiori en cette année d'assec, le lac atteignant à certains endroits 60 m de profondeur.
La chaleur s'installant, les organismes souffrent et, malgré notre rythme modéré, nous doublons quelques concurrents dont certains pourraient être nos enfants...
Retrouvant un second souffle en descente, ma Josette rejoint ses copines non loin du ravitaillement situé au 17ème km.
Si nous sommes loin d'être les derniers, nous, modestes traileurs, sommes en fin de peloton et, comme bien souvent, les portions sont congrues : juste un peu d'eau et une poignée de raisins secs. Dans la lutte impitoyable pour la survie, les traileurs dominants ont précédemment effectué une razzia sur les tables, histoire de limiter les chances de survie des plus faibles. Dure loi de la Nature !
Carole, Josette, Laurence, Annick, le Lutin
Allez, hop ! Une petite photo de groupe et on redémarre pour effectuer les dix derniers kilomètres qui vont s'avérer les plus difficiles et les plus périlleux, alternant côtes à monter avec les mains et descentes sur les fesses...
Distancée une fois de plus par les copines, mon épouse les rattrape une dernière fois au ravito du 24ème kilomètre qui a été précédé par la plus ardue des côtes du trail. On se demande ce que fait un ravitaillement à cet endroit (il ne reste que trois km à effectuer) mais les quelques gouttes d'eau qui restent sont toutefois bienvenues ainsi que les dernières miettes de nourriture que nous disputons aux corbeaux.
Dernière trèèès longue montée puis descente vers l'abbaye de Bon Repos, ma Josette finit ce trail non sans souffrance mais avec la satisfaction d'avoir terminé en 4h37 une épreuve particulièrement exigeante après une bonne année de blessure musculaire.
Photo Cathy
Une bière plus tard, mon épouse est remise de sa fatigue et heureuse propriétaire d'un T-shirt moche en coton qui a l'avantage d'être à sa taille contrairement à celui qu'on me propose (Y'a qu'du L !) et que je refuse. Il ne me reste plus qu'à passer une bonne nuit avant d'affronter la suite.
Dimanche 24 mai : 59,7 km (ben oui !)
Cette fois-ci, le départ a lieu à l'abbaye de Bon Repos et ma compagne de course est Cathy mais nous ne sommes pas seuls puisque trois autres Écouviens nous accompagnent un petit moment.
Cathy, Ricounet, Ricounette et Thierry
Comme hier, nous démarrons par un mur qui ne nous laisse pas d'autre choix que la marche. Tant mieux car la journée va être longue et je ne m'attends pas à ce qu'elle soit facile vu que je connais déjà presque la moitié du trajet.
Dans la brume matinale, prenant un train de sénateur, nous démarrons derniers du trail, ce qui s'avèrera une très bonne idée car nous passerons notre temps à dépasser des concurrents moins prudents (partis derniers de 1400, nous finirons dans les 930).
Pour le moment, la presque petite sœur est bien plus fraîche que moi, les 27 bornes d'hier et les quatorze ans d'écart font la différence. Je sais que le rythme choisi (Cathy est venue pour finir à tout prix) me permettra de boucler ce deuxième trail mais je ne sais pas encore dans quel état.
Après vingt kilomètres très pentus, nous avons droit à un terrain raisonnablement praticable, correspondant aux dix premiers kilomètres du trail de samedi.
Entre vingt et trente kilomètres, je ressens comme un coup de mou, Cathy me distance régulièrement et je dois prendre sur moi pour la suivre. Je me dis que les trente bornes suivantes vont être chaudes...
... d'autant que le terrain se complique grandement et que la chaleur monte.
Ouh, il fait chaud !
Beau Rivage, 30ème kilomètre et premier ravitaillement, je me traîne derrière Cathy et me pose des questions. En tant que coach, j'ai l'impression de faire pâle figure à racler les fossés ainsi. Vais-je défaillir ?
Les Écouviens du 27km d'hier nous attendent et nous encouragent, je lance à ce moment mon fameux signal d'alarme appelé "le cri du Lutin ramolli" : "Au secours les filles !!!!".
C'est à ce moment que, Shazam ! Un miracle se produit et la première à dégainer est la jeune Laurence qui me décoche un de ses merveilleux sourires dont elle seule a le secret.
L'arme absolue (photo prise la veille)
A la vue de la blancheur de ses dents encadrées par les deux points roses de ses pommettes, mon sang de Lutin ne fait qu'un tour et se charge de plusieurs litres d'adrénaline. Je me mets à bâfrer des TUC arrosés de Coca. Bien m'en prend car ce ravito sera le seul suffisamment rempli, les suivants étant à peine plus fournis que ceux d'un 10 km sur route un jour de disette. Les encouragements de ma Josette parfont la remontée hormonale initiée par Laurence et c'est gonflé à bloc que je m'attaque à la suite des réjouissances.
Durant les 20 prochains kilomètres, je ne vais plus ressentir de fatigue et je prendrai maintes fois le relais devant Cathy qui tourne toujours aussi bien malgré les kilomètres, la chaleur et surtout le terrain qui se fait de plus en plus démoniaque.
Après le 40ème km, nous nous engageons sur des chemins pour moi inconnus. Le terrain étant très pentu, j'instaure un rythme très particulier de marche suivi de course courte sur chaque faux-plat de quelques mètres disponibles pour obliger les muscles à travailler, ce qui leur évite de durcir. Résultat, au 50ème km, nous sommes toujours en mesure de descendre et de sauter les obstacles sans douleur.
C'est plat la Bretagne ?
Il reste une boucle à faire pour finir le tour du lac mais quelle boucle ! Le chemin, d'abord facile, nous emmène ensuite dans une sorte de montagnette où la végétation et le cagnard font plus penser à la Provence qu'à la Bretagne.
Pour le coup, la petite sœur chauffe bien et me rappelle à l'ordre quand je me mets à courir dans les côtes. La descente vers Bon Repos se fait à petit rythme non parce que nous sommes fatigués mais à cause du terrain extrêmement technique hérissé de schistes qui ne demandent qu'à nous lacérer les jambes.
Ouf on est en bas ! Ben non, encore un mur à manger avant de descendre vers l'abbaye, gasp ! Et en plus, les gars nous font passer dans l'eau avant de pénétrer dans la zone d'arrivée.
Et c'est pas fini, il faut faire un grand tour d'au moins six cents mètres avant de terminer. Bah, après 59 bornes, on ne compte plus...
Photo Stéphane
Toute la famille est là pour l'arrivée et les jeunes qui arrivent à suivre nos 12 km/h finissent avec nous. 9h37 de course et 470 places gagnées depuis le départ, Cathy peut être fière de ce trail couru sur les terres de son clan.
Tiens, le même T-shirt moche qu'hier ! "Y'a qu'du M !" Ça tombe bien, c'est ma taille. Je le prends, il me servira à sortir les poubelles à la maison. Quant à la flask Salomon promise sur le site de la course eh bien, il doit y avoir rupture de stock...
Une bonne douche, une bonne bière. Il est 19h30 et nous allons bien manger grâce aux deux tickets repas distribués pour chaque traileur du 59 km. Euh, non, il n'y a plus rien à manger et nos dix tickets nous serviront de papier toilette. C'est pô grave, nous finissons la soirée au Buffalo Grill de Loudéac pour y déguster leur fameux steack-frites breton.
Merci aux bénévoles qui ont été charmants et dévoués tout au long du weekend, je sais à quel point leur travail peut être difficile et parfois ingrat.
Un merci spécial à Maryvonne pour nous avoir accueillis comme si nous étions de la famille.
Pour l'accueil et la beauté du pays, je n'ai qu'une chose à dire :
Et attention au T-shirt la prochaine fois...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci de passer le test de vérification de mots pour m'indiquer que vous n'êtes pas un robot.