mardi 24 juillet 2018

Trail des Passerelles du Monteynard 2018

Après m'être fait sortir au 50ème km du Tour des Glaciers de la Vanoise pour cause de gastéropodisme, j'avais une revanche à prendre et je décidai dès la fin 2017 de m'inscrire à un trail légèrement plus court (à 62 balais, faut pas tenter l'diable)  mais au dénivelé sensiblement identique : ledit Trail des Passerelles, ses 67 km et ses 3700 m de dénivelé positif. Enfin, cette fois-ci, ce sera de la dénivelée positive car j'avais semble-t-il quelque chose à expier en ce qui concerne la gent féminine en l'occurrence de nombreuses années de domination indue et machiste sur deux jolies blondes qui, à force de volonté et de travail acharné, avaient fini par me surclasser de la tête, des épaules et de la brassière. 

 Jéjé, Katia, Sandrine, Jean-Michel

Les deux donzelles, quinze jours après avoir effectué les 177 km de l'Ultra-Marin en 30 heures, ont décidé de me coacher durant ce trail histoire de se dégourdir les jambes avec la ferme intention de m'obliger à finir l'épreuve coûte que coûte. Je les soupçonne cependant d'avoir une revanche à prendre sur toutes ces années passées à m'entendre bavasser, jacter, crier, tonitruer, vociférer, beugler après elles sur piste comme sur route ou chemin. Le fait que Jéjé et Jean-Michel dûment masculins nous accompagnent dans l'aventure ne me rassure guère, ils ne font pas vraiment le poids face à ce commando de démones avec lesquelles on ne sait jamais à quoi on Satan...

Départ de La Mure à 5h30 du matin, je prends immédiatement mon train de sénateur. Grand bien m'en fasse, comme d'habitude j'ai trop mangé et le petit (!) déjeuner se manifeste un bon moment par la plomberie du haut comme du bas, je sais que le moindre écart de rythme peut être fatal à mon calbut. Coup de bol, des bouchons se forment dans la montée forestière vers les Signaraux, me laissant digérer tranquillement mes tartines pendant que je me fais bouffer par d'opiniâtres moustiques dont quelques-uns finissent cependant sous la claque de ma main hargneuse et vengeresse.


Un bon moment, l'orage nous tourne autour sans vraiment prendre la peine de nous arroser. Dès le premier ravitaillement, le grand Jéjé prend le large, me laissant avec mes deux championnes qui vont à ce moment adopter leur stratégie de course consistant à gambiller devant en devisant gaiement et à s'arrêter régulièrement pour constater si le Lutin est encore vivant.


Quant à Jean-Michel, il n'est pas à son meilleur niveau (bien supérieur au mien d'habitude) et il gère tranquillement sa course à peu de distance derrière nous. Première attraction du parcours : la Roche Percée qu'il faut traverser par le milieu, exercice délicat car manifestement le roc est constitué de savon de Marseille et je manque par deux fois d'étaler ma barbaque ainsi que ma dignité.


Deuxième attraction au bout de 20 km : la visite de la fameuse Mine Image de la Motte d'Aveillans où nous sommes accueillis par d'anciens mineurs hilares fiers de présenter un échantillon de leur monde à des coureurs dont la plupart ne se représentent pas la richesse de la culture minière qui fut longtemps, avec le train, le fer de lance d'une classe ouvrière qui a fait notre pays. Maintenant, on a les start-up et les mineurs sont en Chine. O tempora, o mores.


Entre Vercors comme décor et Ecrins comme... écrin, nous cheminons cinq bonnes heures sans encombre, admirant la nature qui se révèle à nous au fur et à mesure que le ciel se débarrasse de ses dessous brumeux, nous promettant de torrides ébats pour l'après-midi.

Au loin, le Mont Aiguille et son décor western...

Hop hop, nous trouvons le rythme pour une petite balade sur le ballast, bondissant d'une traverse à l'autre ; des bénévoles nous aiguillent mais ne nous raillent point. Nous passons ainsi à proximité du barrage de Monteynard-Avignonnet où, rejoints par Jean-Michel, nous faisons une petite station photographique.

 Oui, je sais, le Lutin est derrière l'appareil !

Encore une trentaine de minutes et nous commençons la vraie course après 31 km en cinq heures. La difficulté du Trail des Passerelles ne réside pas dans son terrain constitué d'aimables chemins dépourvus de chafouines chausse-trapes mais plutôt dans une dénivelée puissamment érectile propre à incendier les cuisses et à gerber les poumons.

Nous descendons à 558 m d'altitude, à peine plus que ma forêt d'Ecouves, et nous allons gravir le Sénépy presque de face en 9 km pour atteindre la cote de 1769 m. 


C'est là que les Athéniens s'atteignirent et que les Romains ramèrent avant que les Spartiates ne partent. 

Avant que le Sénépy n'empire, il me faut prendre mon courage à deux mains et ne pas remettre à demain la montée vers ce Golgotha boisé au sommet quasiment chauve à l'instar de mon crâne de sexagénaire. D'ailleurs, je ne génère à ce moment qu'ahanements et halètements poussifs. J'ai décidé que l'effort est trop intense pour que je le fractionne. J'avance avec ma tête, poussant sur mes cuisses tel un damné durant exactement 2h25 sans débander. Sans débander mes muscles, s'entend, car l'afflux de sang est à ce moment réservé aux cuisses et non aux pauvres corps caverneux qui se font à ce moment discrets comme des hyènes.


Un cliché quand même en début de côte puis je range mon appareil dès qu'apparaissent les murs qui me plient en deux plus sûrement qu'une histoire belge. Nous cheminons sur un terrain de calcaires noirs lités entourés de marnes et je comprends enfin le sens étymologique du verbe marner.

Un palier-un mur, un palier-un mur... je ne compte plus les difficultés qui s'enchaînent. Mon dos trouve l'addition bien salée dans cette montée infernale où la vitesse de 4km/h est une victoire quand elle est atteinte. Etonnamment, je ne suis jamais loin des filles qui sont pourtant de fières escaladeuses. Quand j'ai la force de relever la tête, j'aperçois souvent leurs jupettes mais je n'ai plus la force d'imaginer ce qui se trame en-dessous.

Le Sénépy marque durablement un bon nombre de concurrents qui se reposent et parfois gisent  à même le sol. Je suis surpris de mon endurance mais il faut le dire, je n'ai pas le choix, Katia et Sandrine tracent la route pour moi et je ne puis les décevoir.


Nous voilà sur la crête, la vue est magnifique et nous rembourse de nos efforts :


 Superbe vue à 360° : Dévoluy, Ecrins,Taillefer, Obiou et toute la barrière du Vercors ainsi que le lac de Monteynard d'où, malgré la distance, nous parvient le son des hauts-parleurs de la ligne d'arrivée.


Las, l'arrivée est encore à une vingtaine de km et il faut descendre ce Sénépy avec des jambons qui viennent de prendre cher et qui refusent le moindre choc en descente. Les dames s'envolent et je sais que souffler n'est pas jouer donc il faut que je suive ces femmes tant bien que mâle. C'est dur.


Les filles ont parfois près d'un km d'avance sur moi et bien que je sois dans le plus grand alpage organisé de France, je m'efforce de ne pas brouter et de prendre le taureau par les cornes. Mes deux blondes m'attendent toujours à un moment et elles m’emmènent tranquillement au ravitaillement où, comme à l'accoutumée, nous sommes royalement accueillis par de nombreux bénévoles proposant un assortiment solide et liquide plus que suffisant. C'est au ravitaillement de l'alpage que Jean-Michel nous rejoint. Il est cuit à point mais sa longue expérience de trailer va lui permettre de mijoter encore un moment. Nous allons le distancer encore plusieurs fois mais il ne sera jamais loin. 


Le passage par Mayres-Savel nous permet de grimper encore un peu puis c'est la descente vers les passerelles. depuis la descente du Sénépy, nous tournons à une vitesse horlogère de 5,3 de moyenne ce qui nous permettra à coup sûr d'éviter la barrière de déviation de la Côte Rouge calculée sur 5km/h.

Encore heureux car deux jours avant, j'avais appris en discutant avec deux bénévoles que le trail qui devait faire 67,5 km avait été ramené à 64,5 km pour cause de coupe du Monde de foot. "Y'a plus que le foot qui compte" m'avaient-ils dit en haussant les épaules d'un air fataliste avant de reprendre leur travail.


Passerelle du Drac, je dis aux filles que le reste c'est du gâteau. Un peu dur le gâteau quand même car il fait très chaud et le les côtes du tour du lac sont comparables à ce qui se fait de plus dur chez moi. La vue sur le lac est magnifique. Rien que du bonheur le dos en compote et les jambes en palissandre.


Passerelle de l'Ebron, plus que la Côte Rouge et c'est du gâteau avec de la Chantilly par-dessus. Nous sommes en avance sur l'horaire, que demander de plus...


C'est au ravitaillement suivant que nous attend la mauvaise surprise : le chemin de la Côte Rouge est barré par des cerbères qui nous enjoignent de rentrer par la route. Devant notre incompréhension face à ce changement des règles en cours d'épreuve, ils nous annoncent sans rire qu'il n'y a plus de médecin de course* et qu'il faut rentrer au plus court. J'essaie de m'insurger et on me menace de disqualification, ce qui me fait ni chaud ni froid. Les filles me calment cependant et me convainquent de rentrer comme indiqué. Je suis colère, j'ai les abeilles et ça me redonne soudainement des jambes. Trop de jambes car s'il m'en est poussé une ou deux de plus, Jean-Michel n'en a plus beaucoup et nous l'attendons sur le chemin du retour, chemin sur lequel ne se trouve ni indication ni marquage. Nous nous sentons complètement livrés à nous mêmes. Nous ne sommes pas les seuls et les concurrents détournés arrivent de tous côtés, parfois au milieu des voitures.


Quand on est un lutin, il faut toujours essayer de faire contre mauvaise fortune bon cœur et nous faisons notre arrivée main dans la main, heureux de cette nouvelle aventure collective.

61,87 km et 3549m de D+
(Photo organisation)

C'est en arrivant que nous comprenons le pourquoi du raccourcissement de la course : le fameux match France contre un pays étranger est commencé et une grande partie du public et des bénévoles se presse dans la tente de ravito transformée en salle de projection du match de finale de Coupe du Monde. Seuls quelques rétifs au ballon rond nous applaudissent à l'arrivée et il est bien difficile de se frayer un chemin pour aller quémander un verre d'eau sous la tente surchauffée par la ferveur footballistique nationale. Je me garde bien de faire une remarque de peur d'être crucifié sur un montant de but, brûlé vif sur un barbecue ou noyé dans de la bière tiède.

Pendant que la fête du ballon bat son plein (c'est les Français qui ont gagné contre les pas Français), rejoints par le grand Jéjé déjà arrivé, nous allons nous rafraîchir les gambettes dans le lac pendant que ma chère femme nous attend sur la plage.

Jean-Michel, un (vieux) Lutin, Sandrine, Jéjé, Katia
Photo josette

Ma chère femme qui a eu l'idée géniale d'amener la voiture au bord du lac, nous évitant de grimper jusqu'aux parkings coureurs qui se trouvent à deux km de là. Riche initiative car le système de navettes prévu par l'organisation bat de l'aile, certains chauffeurs n'assurant plus les rotations, fascinés par le foot, les autres finissant par jeter l'éponge.

Après une heure de route en lacets, je me sépare de mes compagnes et compagnons de course en remerciant à nouveau les filles pour leur gentillesse et leur patience envers un vieux coach en fin de carrière. Elles me surclassent de très loin et j'en suis heureux car j'ai participé un temps à leur ascension même si c'est leur talent et leur opiniâtreté qui a fait la plus grande partie du boulot. 

******

J'ai été bien coaché finalement car le lendemain je randonnais à plus de 2000m au Lac Fouchu en compagnie de ma Josette. J'avais presque retrouvé mes membres... enfin ceux qui me servent à marcher.



******

* Après l'argument de l'absence de médecin que j'ai entendu à ce moment, j'ai ensuite entendu celui du manque de poches de sérum physiologique puis de la décision du médecin de raccourcir la course pour cause d'un trop grand nombre d'abandons. A mon départ du site, plus d'une heure après mon arrivée, des concurrents arrivaient encore de partout : par la route, par le sentier de la randonnée et même par le circuit de la Côte Rouge** sans qu'un seul bénévole ne les aiguille. En ce qui concerne le problème des navettes, j'ai surpris la conversation téléphonique animée d'un chauffeur qui disait bosser depuis 5h du matin et qui allait stopper ses rotations furieux du fait que certains collègues avaient déserté au profit du match de foot.

**A l'analyse des résultats on s'aperçoit que 30 à 50 coureurs classés sur le 65 km qui sont passés derrière nous n'ont pas été détournés car pour 3km de plus, ils finissent jusqu'à 2h30 après nous ce qui montre bien que la décision de détournement était arbitraire et, pire, temporaire.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci de passer le test de vérification de mots pour m'indiquer que vous n'êtes pas un robot.