vendredi 3 février 2017

Marathon de Marrakech 2017

Au pied de l'Atlas


Au commencement étaient les Titans et les Dieux. Plus malins, plus vicieux et plus cruels, ces derniers gagnèrent la bataille qui les opposa et les Titans furent précipités dans les ténèbres du Tartare à l'exception d'Atlas qui fut condamné à supporter la voûte céleste.

Bien longtemps après, il y a seulement mille ans, les Almoravides s'abritèrent au pied de ce géant aux bras hauts de quatre mille mètres pour fonder la perle des portes du Sahara : Marrakech. C'est maintenant une ville de près d'un million d'habitants foisonnante, grouillante de vie, bruissant d'énergie, éclaboussée de lumière. 


Avant le marathon


Pas de problème ! Ce devrait être la devise du Maroc. Que ce soit Monsieur Chérif, Jamal ou Mustapha, tous ceux auxquels nous avons eu affaire avaient une solution à n'importe quel type de problème. Une solution accompagnée d'un sourire, ce que j'ai vite appliqué lors de mes pérégrinations quotidiennes dans la ville pour preuve la réaction d'un commerçant auquel j'avais refusé un achat et qui me salua avec un : "Et merci pour le sourire..."

Oh, bien sûr, Marrakech n'est pas un paradis et mon premier contact avec la Médina (vieille ville) fut rude. Accompagné de  ma Josette et de Mr et Mme Mustang, je n'en menais pas large. Le choc culturel fut intense pour le Lutin des forêts que je suis.


La Médina (200 à 300 000 habitants sur 600 ha), c'est du bruit, des centaines d'échoppes de quelques mètres carrés, des ânes chargés comme des mulets, du monde, du monde, du monde et des centaines de mobylettes qui vous frôlent à des allures pas raisonnables sans jamais vous toucher. La Médina, c'est aussi une grande pauvreté, des mendiants que l'on ose à peine regarder, un désordre indescriptible, un fouillis grouillant mais vivant. 

Vivants, tellement  vivants ces Marrakchis que la remembrance de ma société vieillissante me faisait parfois accroire que nous n'étions plus que des spectres diaphanes qui errions sans but dans un monde qui n'était plus fait pour nous.


Au-delà des dix-neuf kilomètres de remparts almoravides s’étend la ville moderne dont la perpétuelle construction respecte avec goût le style de la ville ancienne. Costumes occidentaux et traditionnels, jeunes filles en jeans et femmes voilées mais plus de pauvreté visible, ici le chant du muezzin se fait plus puissant pour dominer le bourdonnement du vingt et unième siècle.

Rejoints par les vingt-cinq autres membres de notre groupe, nous sommes allés chercher les dossards pour le marathon et ainsi profité pour flâner, baguenauder, musarder, trafeter ici et là, terminant par le jardin Majorelle cher à Yves Saint Laurent.


De retour par un raccourci traversant la Médina, nous nous sommes perdus dans un dédale de rues, échouant dans des lieux désertés par les touristes où les Marrakchis travaillent, circulent, vendent sans repos. J'avais parfois l'impression de me trouver dans une version berbère d'un roman de Dickens ou de Victor Hugo. Evidemment, notre raccourci nous rallongea...

Repas en commun le soir au riad : avec nos amis Jamal et Mustapha, nous sommes trente et un dans le petit snack en bas de chez nous, les filles sont mises au chaud tandis que les hommes mangent dans l'allée. Je n'apprécie que très moyennement cette séparation des sexes mais je ne suis pas chez moi... La seule compagnie des hommes me laisse toujours hémiplégique mais j'arrive quand même à alimenter la conversation qui tourne autour du sport. Je suis incurablement bavard, on ne se refait pas.


Pourquoi ce marathon ?

Parce qu'Allain, voilà la réponse que je développe dans cet article de l'Orne Hebdo :
 
Photo Orne Hebdo

Allain, avec deux ailes

Cela a commencé dans les années 90. A l’époque, j’en avais assez des capilliculteurs habillés comme des cosmonautes et j’avais décidé d’aller chez un coiffeur qui coupait juste les cheveux et incidemment discutait avec son client.

C’est un peu par hasard que je me suis retrouvé dans le salon de coiffure d’Allain Lebossé dont les miroirs étaient encadrés de médailles, diplômes et coupes (autres qu’au rasoir). Ma curiosité naturelle me fit engager la conversation sur ce que je ne pouvais que voir devant moi : les mots course, marathon et même 100 km (en courant !!!?). Je ne savais pas que je mettais le doigt de pied dans l’engrenage. C’est ainsi que j’ai intégré la bande à Lebossé et littéralement appris à courir à l’instar de bon nombre de sportifs locaux qui croisèrent un jour sa route.

Allain, avec deux ailes, m’accompagna sur mon premier semi-marathon puis, de conseils en incitations, me convainquit que moi aussi je pouvais courir un marathon, discipline que je croyais jusqu’ici réservée aux surhommes. Puis ce fut le tour du trail : 30, 40, 50 et même 80 km, sans parler du  mythique 100km de Millau… Cela prit le temps qu’il fallut, Allain n’a jamais bousculé quiconque ; adepte de la méthode douce, il amenait chacun à se dépasser ou plutôt à se révéler à travers le sport.

Plus de vingt ans ont passé et je croise toujours la foulée de ce mystique de la course à pied. Grâce à lui, j’ai déjà bien entamé mon deuxième tour de monde en distance parcourue et partagé notre passion avec d’autres auxquels j’ai à mon tour tenu la main sur les chemins du marathon.
En cette fin janvier, Allain va courir son 42ème marathon à Marrakech en hommage à Serge Vigot, ancien organisateur du marathon d’Argentan et créateur de celui de la Rochelle. Nous serons une bonne vingtaine à l’accompagner pour son dernier marathon.

Dernier marathon, c’est son choix mais sa vie de coureur ne s’arrête pas là. A bientôt soixante-sept ans, il lui reste encore à courir son dixième cent kilomètres de Millau mais aussi à arpenter longuement les pistes du désert marocain, sa seconde patrie qu’il aime tant…


Le marathon


C'est la troisième fois que je participe à une épreuve avec Sandrine, sorte de lutin féminin, la discrétion en plus. Elle n'a pas encore quarante ans et je viens d'en avoir soixante et un : nous nous croisons sur le plan des performances. Elle m'a largement dépassé au niveau 100 km, elle m'a égalé sur 10 km et je lui ai prédit qu'elle était sur le point de me poutrer sur marathon. Elle a suivi mon entraînement et, prudent, je lui ai signalé que je la suivrai au moins trente km mais que si je ressentais la moindre fatigue, elle avait pour consigne de tracer sa route sans s'occuper de moi. Notre objectif : 3h39, certainement ma limite vu mes performances actuelles. C'est la première fois que je vais accompagner quelqu'un en étant moi-même au taquet. Je ne suis pas sûr de moi mais n'en laisse rien paraître. L'ancien maître d'école sait préserver les apparences...


Le trajet du marathon fait le tour de la ville, passant par de grandes artères peu typiques, quelques petits passages sympas agrémentent cependant notre parcours. Les Marrakchis sont chaleureux et sympas ; il y en a un autre qui est chaleureux, c'est le soleil... Alors que j'avais bâché Sandrine au départ car il ne faisait que six degrés, je me suis vite aperçu que la température montait rapidement pour à terme culminer à vingt-cinq degrés. Nous qui avions effectué notre dernier entraînement long la semaine précédente entre -9° et -4°, vous imaginez le choc thermique !

Nous nous étions mis d'accord sur un rythme allant de 11,6 à 11,8 km/h, ce qui ne posa aucun problème pendant un bon moment, je dus juste réfréner les ardeurs de ma jeune camarade par moment quand elle passait parfois la barre des douze à l'heure.
  
Photo de ma Josette

Le semi fut bouclé en 1h49, nous laissant un battement d'une minute pour remplir notre objectif. Le peloton s'était bien étiré, nous entrâmes ensuite dans la palmeraie, certainement la partie la plus typique du marathon. A partir de cet endroit, la circulation était de moins en moins régulée et les automobiles se rencontraient fréquemment sur le parcours sans toutefois poser trop de problèmes, les conducteurs ayant un comportement plutôt bon enfant hormis ce chauffeur d'une grosse Mercedes noire qui, arrivant pile en face de moi, ne se déporta qu'au moment où je m'apprêtais à marcher sur son capot. 


Le trentième kilomètre passa sans encombre mais je sus que la partie n'était pas encore gagnée quand je ressentis les premiers signes de fatigue. Il ne fallut pas plus de trois kilomètres supplémentaires pour que je réalise que la machine se détraquait. 11,5 puis 11,4 km/h, je devais réagir vite : "Je suis en train de ralentir, file maintenant !" Légère protestation de Sandrine. "C'était convenu, tu as un record à battre, pas moi !"


Et voilà, l'oiseau s'envola. Je pus enfin me dégonfler comme une vieille baudruche oubliée en plein soleil au bord du chemin poussiéreux. Ma prédiction était la bonne, Sandrine venait de me dépasser en performance sur marathon. J'étais poutré mais j'avais eu raison. C'est toujours bien d'avoir raison, surtout quand votre corps vous donne tort... Onze, dix à l'heure, à ce moment, je pouvais espérer accrocher les 3h45, l'arrivée n'était plus si loin. Oui, mais...

Oui mais, la chaleur aidant, je me sentis de moins en moins bien et je finis quasiment par ramper sur le bitume surchauffé de la ville nouvelle. Dépassé par mon camarade Eric qui m'encouragea au passage, je rentrai dans ma bulle pour tout oublier : souffrance physique et déception de ne pas terminer avec Sandrine. Alors que j'approchais du quarantième kilomètre, une main tapa sur mon épaule : "Alors pépère, on s'traîne?" C'étaient les deux Joël qui arrivaient en pleine forme derrière moi et en se moquant gentiment du gastéropode décédé qu'ils suivaient depuis peu... Cela me fit l'effet du poisson sorti de son bocal : je me mis à marcher. Les deux gaillards m'encouragèrent à les suivre mais c'était comme inciter un cul-de-jatte à faire du saut en hauteur. 

Tout cela n'était qu'un prêté pour un vomi... je m'étais plusieurs fois moqué des deux compères quand je l'avais pu et j'avais d'ailleurs la veille raconté à l'assistance comment je m'étais gaussé d'un des deux gars au trentième kilomètre du marathon du Mont St Michel en lui jouant un air de bagad alors qu'il débutait son agonie marathonienne. 

Cette avanie, je ne l'avais pas volée. Quand on est un lutin, on doit accepter cela. Je marchai pendant un bon mille cinq cents mètres puis je repris ma course de mourant histoire de faire bonne figure à l'arrivée.


Ah la vache, c'est long ! C'est looong !!! La dernière ligne droite me parut interminable, d'autant plus interminable qu'une fois passés les 42,195 km, il restait encore bien 400m à parcourir. Les Marocains sont un peuple généreux et ils ne veulent pas que l'on qualifie leur marathon d'étriqué. 3h57min51s, c'est anecdotique.


Je suis vidé, crevé, exténué, éreinté, vanné, délabré, harassé, fini. Accueilli par les amis coureurs et supporters du groupe, j'enlevai mes chaussures et attendis l'arrivée des suivants non sans demander son chrono à Sandrine. Elle a bouclé ces 42,600km en 3h39min52s de temps perso. Elle a battu son record, une satisfaction pour elle mais aussi pour moi qui l'avais entraînée. Avec l'âge, les satisfactions, c'est comme les raideurs, ça se déplace.


Le héros du jour arriva enfin. Allain avait bouclé son 42ème marathon, nous étions vingt coureurs à l'accompagner pour lui rendre hommage. Une page était tournée.


Après le marathon


Le marathon, c'est comme l'amour, c'est ce que l'on ressent après qui est le meilleur. Il  nous restait deux jours de baguenaude à effectuer et nous en avons profité pour visiter, chiner, flâner. 


La Médina étant le seul endroit au monde où il est bon de se perdre, nous en avons largement profité. Se perdre pour s'amuser, se perdre pour découvrir les beautés d'une ville millénaire, se perdre pour enfin se retrouver. 

 Marrakech, restaurant Dar Cherifa (XVIème siècle)
31 janvier 2017



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