Alençon-Médavy 2023

 La Der des Der

 

Alençon-Médavy c'est une longue histoire Alençonnaise, un chalenge* local, un incubateur de coureurs. Ce fut durant cinquante ans le but de bien des locaux : courir les 15,8 km et finir époumoné au sommet de la Forêt d'Ecouves après avoir gravi ce Golgotha normand durant les cinq derniers kilomètres. Oh, ces 300 m de dénivelé feraient sourire bien des trailers adeptes du D+ surnuméraire mais contrairement au trail trop souvent refuge du sportif bourgeois suréquipé, Alençon-Médavy est une vraie course populaire où l'on croise jeunes et vieux, ménagères et employés, ouvriers et artisans, indépendants et fonctionnaires, hommes et aussi beaucoup de femmes venus pour le défi. Un défi lancé à soi-même mais surtout avec les autres.

*Chalenge est un mot de l'ancien Français, il a donné le terme anglais challenge. Pourquoi se priver de l'orthographe française ?

Lui, c'est Pierre. Avec sa famille et ses amis, il est à l'origine de cette course créée en 1974 dont ce sera la cinquantième édition cette année. A 70 ans, il a décidé que toute bonne chose ayant une fin, cette quinquagénaire sur bitume allait prendre sa retraite. Lui et Paul son jumeau malheureusement disparu furent à la tête de cette classique normande durant toutes ces années. Pierre m'a confié que lors de ces cinq décennies, il avait consacré deux années de ses congés payés pour travailler à l’organisation de cette épreuve qui compta jusqu'à 5000 sportifs. Ce n'est plus du bénévolat, c'est du dévouement. Qu'il en soit remercié ainsi que toute son équipe.

 

Pour cette dernière édition, il fallait que le Lutin d'Ecouves se montre enfin sous son vrai jour. Ce petit avatar m'avait été prêté en 2007 par Roland et Claudine Sabatier, auteurs de la Grande Encyclopédie des Lutins à condition que je n'en fasse aucun usage commercial, ce que j'ai toujours scrupuleusement respecté mais pour cette cinquantième, il fallait frapper un grand coup et faire sortir le Lutin du bois. Et ce fut fait grâce à Cécile, ma belle-mère née en forêt d'Ecouves il y a quatre-vingt-quinze ans, ce qui ne l'empêche pas d'avoir toujours bon pied bon œil, ce qui est bien nécessaire pour une émérite couturière :

Bon, j'ai un peu vieilli mais j'suis trop beau !
Photo Josette

 Dimanche 26 mars : Parc Anova

Satanés collants, c'est pas facile pour faire pipi ! Je suis arrivé sur le grand parking vidé pour l'occasion. Cette année, nous sommes 2700 à prendre le départ. Beaucoup sont là parce que c'est la dernière et certains sont ici car ils avaient rêvé de courir cette épreuve mais avaient procrastiné jusqu'à l'annonce de la clôture de cette longue aventure. Certains sont donc des primo-médaviens et d'autres des vétérans de la course. Pour ma part, c'est ma 25ème édition. Pas de véritable échauffement cette année, je vais benoîtement trottiner pour profiter de l'événement. Je prends mon temps et salue tout le monde. Croisant mon ami le Diable, je nous fais tirer le portrait par Stéphanie récemment revenue du Trail de Grande Canarie :

Photo Stéphanie

Plus que cinq minutes. Je m'insère dans le peloton qui bruisse. Les nuées sont bien lourdes pensè-je mais je me bile pour rien car je ne prendrai aucune goutte lors de cette édition alors que les premiers prendront une bonne renâpée à l'arrivée. Fallait point aller si vite !

Quel plaisir de courir détendu pour moi qui autrefois déboulais comme un maboul à quinze à l'heure sur la rue de Bretagne. Je me mets à faire un tas de photos, courant parfois de dos pour saisir l'instant. Je vais faire 96 clichés durant la course... pas raisonnable !

Bien sûr, je cause tout autant que je tire les portraits comme avec Gégé et Cathy qui sont venus avec leurs habits des années 70.

Le peloton s'étire et déjà, je n'en vois plus la tête au bout d'un kilomètre à hauteur du boulevard Colbert.

Je cours un moment avec mon gentil gendre barbu qui m'accompagne jusqu'à ce que l'on aperçoive ma fille et ma petite Olivia qui attend son Papa et son Papy une pancarte d'encouragement à la main.

L'hippodrome puis direction Damigny et sa côte des Fourneaux. Je rencontre Henri, 78 ans, le doyen de mon club duquel je tire un portrait dynamique bien dans le style de ce M9 ancien vice-champion de France marathon V3 :

Lors de cette course, je vais voir quelques phénomènes et autres énergumènes mais le pompon ira de mon point de vue à ce téméraire concurrent qui a décidé de parcourir ces presque seize bornes sans chaussures :

Ouais, il faut dire que dans le genre allumé, je ne suis pas mal non plus...

 

Photo Maud

Cinq kilomètres de plaine, c'est là où autrefois je galopais tant et plus pour atteindre le dixième kilomètre en moins de 42 minutes, ce qui me permettait une arrivée entre 1h07 et 1h09. Ce n'était pas au siècle dernier mais presque... Je constate à nouveau la féminisation du peloton et je m'en réjouis. Premier ravitaillement, ça n'a pas l'air aisé pour tout le monde. Ce n'est pas une épreuve facile mais ici, chacun court en connaissance de cause.

La côte des Ragottières au huitième kilomètre, un avant-goût des hostilités à venir. Comme on dit chez moi : "Si tu marches aux Ragottières, à Médavy tu s'ras par terre". Pas de souci pour moi, je grimpe la côtelette en distribuant encouragements et conseils pour la suite.

Photo Mireille

Passé le onzième kilomètre, les choses se compliquent. J'encourage mes compagnons de course à se détendre et discuter pour mieux réguler leur respiration mais même si le début de la grimpette est raisonnable, beaucoup sont dans le dur. Les gens doivent se demander ce que je fais là à gambader comme un jeune lutin. Il faut dire que ma forme vient du fait que j'arrive à la dernière semaine de mon plan d'entraînement en vue du marathon de Cheverny de dimanche prochain. A ce rythme entre neuf et dix à l'heure, je ne risque pas de péter une durite.

 

Entre le douzième et le quatorzième, les concurrents cussent et halètent. Je les laisse tranquilles pour discuter avec un individu arborant un drapeau normand à croix de St Olaf et deux léopards.

Le gars me dit qu'il est né l'année de la première édition et que dès qu'il en a eu l'âge, il a couru les 32 dernières éditions. Semper fidelis.

Le quatorzième rougissant est enfin passé, je reprends mes encouragements : "Moins de deux kilomètres, c'est la fin !" Les sourires réapparaissent car le défi est en passe d'être remporté. Comme je l'ai déjà constaté, les héros sont en queue de peloton, ceux qui triment sans frime avec le panache des durs à la tâche. Je les admire. Sincèrement.

Foin d'outre sentimentalisme, je me mets à accélérer pour la fin et rattrape la fine Stéphanie qui court avec une circonspection due à une déchirure musculaire mais non sans son sac à dos de traileuse aguerrie. Comme moi, elle est là pour la fête et aussi pour récupérer de son récent trail de 80 km. Nous parcourons ensemble les derniers hectomètres de la course en devisant tranquillement. Nous terminons en 1h43'.

Une grande partie des coureurs est déjà sur place mais malgré notre train de sénateur, 760 concurrents vont encore franchir la ligne derrière nous. Je rejoins vite mon épouse que je trouve avec mon gendre et ma grande Arielle qui a accompagné sa mamie au sommet de la forêt. Elle est fière de son papa et arbore une belle pancarte en son honneur. 

Cette fois la boucle est bouclée. J'ai couru mon dernier Alençon-Médavy, j'ai embrassé mes deux petites-filles sur le parcours et mon gendre a repris le flambeau. Oui, je sais, c'est flan mais c'est beau.

Merci Pierre, merci Paul et merci à tous les bénévoles.