lundi 6 octobre 2014

100 km de Millau 2014

Que dire, que faire quand on s'attaque à plus gros que soi... Je n'ai jamais été un coureur de long, plus à l'aise sur des distances allant du cross de 5000m au semi-marathon. Même le marathon que j'ai déjà pratiqué vingt fois me pose des chausse-trapes dès le trentième kilomètre. Je suis un coureur qui doute, un homme qui doute et ne croit rien ; je dois composer avec cela et me faire une raison ; chez moi, il n'y a pas que les pieds qui sont d'argile. Le judo qui me fut plus qu'un sport m'a depuis longtemps appris qu'entre la victoire et la chute ne passe que le souffle ténu de l'instant. Nous marchons tous sur un volcan, ce qui ne nous empêche nullement d'y danser. J'allais, ce 27 septembre, aborder les 100km de Millau conscient de mes limites.

Rivière-sur-Tarn, le 26/09

Un 100km ne s'improvise pas. Je m'étais préparé un plan de 9 semaines, inspiré par Bruno Heubi, à raison de cinq séances/semaine : 1 Jogging 1h - 2 Allure semi-marathon sur piste (de trois fois 8 min à trois fois 20 min) - 3 fractionnés sur piste (1h à 1h20) - 4 Jogging 1h - 5 séance sur route à 10 km/h avec côtes (1h30 à 3h00). Au bout d'un mois, j'avais une "caisse" incroyable et je ne sentais plus les côtes ; mais voilà... j'ai un jour oublié que ma VMA était descendue à 15,5 - 16 km/h et je me suis claqué en fractionnant à 17-18 km/h. Pas facile d'accepter son âge. Je me retrouvai la cuisse gauche strappée, incapable de dépasser le 10 à l'heure trois semaines avant la compétition. Je devais faire avec et continuai l'entraînement à bas régime en glaçant ma jambe trois fois par jour. Six jours avant la course, la douleur devenait spectrale. Je décidai de courir avec un bandage le jour dit.

Quelques jours avant de prendre la route, j'interrogeai longuement mon ami Allain qui en était à son 7ème Millau ; j'eus été fou de ne pas l'écouter et j’engrangeais ses précieux conseils avec soin. 


Trois courses en une


1 Le marathon

Nous sommes douze Alençonnais à courir. Allain m'a averti qu'il était risqué de courir en groupe, chacun ayant des passages à vide à un moment ou un autre. J'ai décidé avec Katia que je l'accompagnerai sur le marathon sans dépasser le 10 km/h ; après, chacun reprendra son fil du rasoir personnel.

Pré-départ en marchant du Parc de la Victoire, je fais la connaissance de Jérôme 77 de Kikouroù que je suivrai un moment après le véritable départ situé plus bas sur une avenue.
Le groupe s'agite, se disperse, se reforme... les débuts sont chaotiques. Trop obnubilé par mon GPS qui ne démarre pas, je perds de vue la plupart de mes camarades. Joël puis Véro et Béa, Jacques me double comme une bombe, Cathy... Enfin, je rejoins Katia qui court en compagnie de Sébastien. Nous avons partagé tous trois les entraînements du mercredi, particulièrement durs, parfois sous un soleil ardent. Ce n'était qu'une répétition, la chaleur monte rapidement et l'astre d'airain colle littéralement notre substance au bitume. 


J'avais estimé que la principale difficulté de ce marathon était de ne pas dépasser le 10km/h et je m'aperçois au bout du semi que nous sommes à 9,8km/h et qu'il ne sera pas possible d'aller plus vite. L'air se fait plus brûlant et la fatigue s'installe prématurément. Très rapidement, l’arrosage systématique des cuisses aux ravitaillements s'impose ainsi que le trempage de la casquette ; habitudes qu'il faudra poursuivre jusque tard dans l'après-midi. Je parle peu dans le deuxième semi, me concentrant sur ma foulée. De plus en plus fréquemment, nous croisons des marathoniens accablés par les crampes et la chaleur, il leur reste moins de dix kilomètres de souffrance alors que  moi, je dois encore en parcourir au bas mot soixante-cinq agrémentés de quatre grandes côtes. Je n'en mène pas large... Je commence à me demander si je vais suivre Katia encore bien longtemps, elle qui avale les petites montées avec une remarquable aisance. Sébastien s'est envolé lors du retour vers Millau et nous abordons la ville à deux, un peu éberlués par cette circulation automobile se frayant un passage parmi les coureurs. Toutefois, les automobilistes du cru semblent être habitués et prennent leur mal en patience, encourageant même les concurrents quand ils arrivent à les dépasser. Parc de la Victoire, le ravitaillement n'est pas de trop et, comme tous les cinq kilomètres, je bois un verre de coca suivi d'un verre d'eau gazeuse en mangeant ce que je trouve sur les tables. Depuis un moment, je n'avale plus d'aliments sucrés, recherchant des saveurs plus salées, signe que le cagnard fait son office. Pour la première fois, je m'assois pour me restaurer. Katia est allée chercher des affaires et revient en m'avertissant : "Tu fais ta course, maintenant tu ne t'occupes plus de moi" ; elle pense peut-être qu'elle me ralentit alors qu'à ce moment, j'ai un gros coup de chaud et je me demande si je pourrai la suivre.

2 Millau-Ste Affrique

Les 29km les plus durs de la journée. Il faut monter pour sortir de Millau et j'ai bien du mal à suivre Katia. Nous descendons pour ensuite aborder la terrible côte du viaduc ; elle ne fait que deux kilomètres mais, avec ses passages à 12%, elle nous scotche au bitume. Il est plus de quinze heures, Millau affiche 26 degrés au bord du Tarn mais dans cet environnement minéral, nous frisons les 30 degrés. Le silence est de rigueur. Alors que nous arrivons au niveau d'Hervé, Katia décroche soudainement. Comme convenu, je continue mon chemin peu fier mais conscient du fait que si je change quoi que ce soit à mon allure, je romps un équilibre avec toutes les conséquences que cela peut avoir. 

 Photo Gaches

Hervé resté en retrait, je fais un bout de chemin avec Thierry et Allain. Je retrouve étrangement la forme, distançant même parfois mes camarades. A St Georges de Luzençon,  le ravitaillement dans une salle communale est le bienvenu. Je m'assois à nouveau pour m'hydrater, sentant la circulation revenir dans mes jambes. Il reste 48km à parcourir et pour commencer, c'est un faux-plat montant de 8km qu'il faut courir sous un astre du jour par trop vaillant, c'est ensuite la terrible côte de Tiergues qui m'oblige à marcher pendant presque 5km sur 6.


J'ai depuis longtemps oublié mon chrono et, quand je bascule en direction de Ste Affrique, ce sont surtout mes jambes qui me préoccupent. Vont-elles tenir jusqu'au bout ? La descente fait plus de 7km mais je n'arrive pas à dépasser les neuf à l'heure tellement je suis entamé par le dénivelé précédent et la chaleur. Chaque parcelle d'ombre bordant le chemin est visitée, le glorieux soleil de septembre décline comme à regret. Je n'attends plus que la fraîcheur du soir. Depuis le 57ème km, je croise du monde, d'abord les premiers qui courent en toute circonstance puis des coureurs moins frais qui trottinent ou qui marchent dans ce qui est pour eux une côte. C'est en approchant de Ste Affrique que je suis alternativement salué par Jacques en grande forme et par le jeune Galak qui a reconnu mon appartenance à Kikouroù du fait de ma casquette. La forme de Jacques et le sourire de Galak me permettent de retrouver un peu de motivation et j'arrive au 71ème km avec la conviction que je terminerai.

Interlude : Ste Affrique

J'arrive dans la salle et je tombe sur ma chère Maria, rencontrée la veille, qui m'annonce son abandon : "J'étais sur des bases de 10 h et j'ai soudain ressenti une douleur, j'ai téléphoné à mon coach qui m'a dit d'arrêter." Elle courait Millau en préparation d'un six jours (vous savez, courir six jours de suite sur un tout petit circuit). On ne joue vraiment pas dans la même cour de récré. J'ai décidé ou plutôt mon corps a décidé un long arrêt à Ste Affrique. Je change de t-shirt et de chaussures (m... j'ai oublié les chaussettes) ; riche idée que d'avoir laissé un change ici. In-dis-pen-sa-ble. Je bois deux soupes de légumes, aliment qui sera la base des derniers 29 km et je mange du pain spécial bien salé que je fais passer avec un sempiternel coca. Sur ces entrefaites,  la bande arrive : Allain, Hervé, Cathy accompagnée de Toto son suiveur qui m'aide à enfiler mon harnais-lampe de chez Décathlon. Thierry a passé son chemin et n'est pas entré dans la salle, il prendra 33 minutes d'avance sur moi. Et Katia ? "Elle n'était pas bien" m’annonce Cathy. Je ne peux n’empêcher de m'inquiéter mais il me faut à nouveau rentrer en moi-même, l'empathie devenant dangereuse pour mon équilibre.

3 Ste Affrique-Millau

Quand je repars après 20 min d'arrêt, je sais que je finirai. La dernière course : 29 km pour m'enfoncer dans la nuit en espérant renaître. Une petite dramaturgie personnelle qui ne se vit que dans la solitude. Après avoir croisé Véro, Béa et le Bagnard en vélo, je m'adonne à une activité peu commune pour un grégaire hyper social : je cours dans ma tête et ça me réussit plutôt bien. Je maintiens un modeste 8 à l'heure sur les deux tiers de la remontée de la côte de Tiergues. Et je suis bien et je suis seul et je cours, je cours. A ce moment, je pense à mon petit Bouk et son "Marcher, c'est mourir". Tu as raison mon Bouk, je vais encore marcher, mourir, et après, je vais revivre. Cinq minutes d'arrêt assis pour bien ingérer à chaque ravitaillement, j'arrive bientôt au pied de la dernière grosse difficulté, la côte du viaduc, je suis à peu près à 88 km. Dans la salle de St Georges où je déguste ma dernière soupe, je discute avec un homme de mon âge accompagné de sa fille suiveuse en vélo qui a l'air épuisée. "Allez, plus qu'une grosse côte ! J'en ai bavé dans cette saleté de montée de Tiergues, presque six bornes à marcher dans un sens et presque huit dans l'autre..." Le gars me regarde d'un air effaré : "Ne m'en dites pas plus, je vais dans l'autre sens !" Le gars a encore 48 km à effectuer ! Deux kilomètres de marche, les derniers, c'est promis ! Je rejoins le groupe du meneur d'allure des 13h00, le porte fanion boîte et se fait encourager par sa partenaire. "Lâche pas, c'est bon, t'es dans les clous..." Je me sépare du groupe dans cette descente si cruelle aux cuisses. Plus que six kilomètres, Allain me passe en rigolant accompagné de Joël. Il doivent progresser à douze à l'heure. J'ai bien envie de suivre ces deux sexagénaires mais je préfère garder mon rythme de 9 à l’heure ; après 94km de gestion que j'estime exemplaire, je ne me livrerai pas à une excentricité malgré la tentation. Joël paiera le panache de son finish par une heure de sieste à l'infirmerie dès l'arrivée. Surprise, 4 km avant l'échéance, Allain m'attend avec un verre de bière avant de s'envoler à nouveau. Unique entorse à la discipline que je m'impose depuis neuf semaines, je le bois et repars dans la nuit. Je cours à nouveau seul dans les rues de Millau, accompagné de temps en temps par une patiente automobile. Le petit homme à l'esprit d'argile a su gérer le défi avec autant de précision que d'humilité. C'est à huit à l’heure que je remonte le dernier boulevard puis le parc. J'arrive fatigué mais pas épuisé. J'ai réussi, j'ai réussi ! La même joie tranquille que lors du jour où j'ai obtenu ma ceinture noire de judo.
 
Photo Gaches

Hervé, Cathy et une Katia à l'énergie retrouvée franchissent la ligne deux minutes derrière moi. Ils ont parcouru la dernière partie en au moins 20 min de moins que moi ! Ma Josette m'accueille en compagnie de Brigitte. Il ne reste plus qu'à attendre le retour de Béa, Stéphane et Véro qui clôt la course des Ecouviens en 14h50 et qui n'en revient pas du fait que son fougueux Jacques nous a tous coiffés en 11h37, lui qui n'a jamais couru un seul marathon !

Epilogue


Trois jours plus tard, je suis chez mon ami le K. Vingt km de randonnée et 1000m de dénivelé. Aucune trace du 100km dans les jambes. Les contreforts du Vercors mettent longtemps à dévoiler leurs charmes mais, à un moment, la brume se déchire et révèle la splendeur de cette fière nature. Ma femme est à mes côtés comme  tout au long de ces 40 dernières années. Nous sommes si petits, si fragiles mais si patients que les nuées s'écartent toujours à un moment, nous laissant partager la beauté de l'instant.



3 commentaires:

  1. bravo pour ta tres tres tres grande ballade

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  2. Merci, effectivement, c'était plus long qu'un cross !

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  3. 2 experiences différentes 2014 et 2019 pour le même chrono, incroyable

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