jeudi 7 octobre 2010

Chanson pour Claudie



Ses parents avaient eu la drôle d’idée de l’appeler Claude mais elle se faisait appeler Claudie. C’était la jeune sœur d’une copine et du haut de mes presque dix-huit ans, je la considérais comme une petite. Son année d’avance et mes talents de cancre avaient fait qu’à quinze ans, elle s’était retrouvée dans la même classe de première que moi.

Elle n’était pas très jolie malgré d’assez beaux yeux marron fort expressifs. Je ne la regardais pas, en route que j’étais pour une histoire d’amour dont je ne percevais pas encore l'étincelante vigueur.

Pourtant, trente–sept ans après, je pense encore à elle et me remémore son regard doux , timide et douloureux.


Musicalement, l’année 1973 avait été riche en sorties fracassantes que ce soit la résurrection de Paul Mc Cartney avec "Band on the run" ou  l’envol de Pink Floyd  avec son "Dark Side of the Moon" dont moi et mes copains n’avions pas encore compris la modernité qui devait l’inclure définitivement dans le siècle. Dois-je parler de "Quadrophenia", l’opéra-rock des Who ou de "Lark’s Tongues in Aspic" de King Crimson ?
Cette année 1973 était une explosion de créativité et la France n’était pas en reste avec la déferlante "MDK" de Magma.

Et pourtant, c’est un album de Procol Harum qui restera gravé dans ma mémoire. Claudie, me sachant fondu de musique discutait de temps en temps avec moi des nombreuses sorties de l’année finissante.
C’est ainsi qu’un jour d’automne, elle me parla de "Grand Hôtel", dernier opus en date de ce groupe dont je ne connaissais qu’un slow responsable de bien des élans hormonaux.

Je ne sais pas pourquoi, mais l’exposé des qualités de cet album par Claudie me toucha plus qu’il ne l’aurait dû. Tant de sensibilité, de raffinement, de douceur et de tristesse. Elle m’avait décrit en quelques phrases l’ambiance si particulière de cette œuvre presque décadente qui n'exprimait que sentiments, suicide et amours mortes.


Quelques temps après, ma petite amie m’apporta le disque qu’elle avait soustrait à ses frères qui venaient de l’acheter et je pus en faire de nombreuses écoutes en feuilletant le luxueux livret illustré de dessins originaux.

J’adorais, nous adorions. Cette œuvre ajoutait une brique supplémentaire à l’édifice culturel que notre si jeune couple construisait patiemment, nous nous découvrions en même temps que nous découvrions le monde des arts et des idées.

J’avais déjà oublié Claudie…


Un matin de givre et de neige, c’est au lycée que j’appris que Claudie avait dérapé devant un poids lourd et que celui-ci n’avait pu l’éviter.

Je me rappelle mon prof de sciences qui ne savait quoi dire et les larmes dans les yeux des filles.
Je ne pleurais pas, inconscient de la portée du drame ou peut-être trop tôt conscient du tragique de la Vie.

La mort de Claudie devait précipiter l’éclatement du couple de ses parents, laissant une sœur aînée et un petit frère dans le désarroi.


"Grand Hôtel" eut depuis lors une place particulière dans mon esprit. Sa musique n’a jamais été loin de moi, je l’ai naturellement racheté en CD puis compressé en MP3 et à chaque fois que je l’écoute, j’ai une pensée pour Claudie. Elle est là après toutes ces années, presque une vie...

... et elle a toujours quinze ans.




Dessins originaux de Spencer Zahn pour le livret de l'album

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