mercredi 17 avril 2013

Alençon-Médavy 2013

Sur le fil du rasoir


Devenir coach, c'est parfois une manière de masquer ses propres insuffisances. Alençon-Médavy est la course sur laquelle j'ai toujours fait mes meilleures places et, depuis quelques années, je descends doucement mais sûrement les échelons du classement général. Quoi de mieux pour faire reluire un vieil Ego que de pousser les autres à la performance et de s'en attribuer une part ? En général, tout le monde y trouve son compte et cela ne fait de mal à personne mais, en ce dimanche d'avril, je ne savais pas que j'emmènerai Cathy sur le fil du rasoir ...


Tout est prêt, tout est calculé ; cette course de 15,4 km, je la connais par cœur avec son profil si particulier et son impitoyable montée finale de cinq mille mètres que nous avons affrontée à trois reprises ces dernières semaines, bravant le vent et la neige, nous gaussant de la dénivelée et des éléments. Nous devons monter Médavy en 1h19 min. Pour ce faire, nous allons arriver au 10ème kilomètre en 49 minutes. Il ne va pas falloir traîner.

Mais voilà, aujourd'hui, il fait quinze degrés de plus qu'hier et je sais que notre objectif d'une heure dix-neuf sera difficile à tenir. Les yeux bleus de Cathy reflètent-ils de la perplexité ? En tout cas, je ne puis montrer mon doute à ce moment.

Plus de 3500 personnes se ruent dans la légère descente de la rue de Bretagne. Il a été convenu qu'Erick s'occuperait de Katia pendant que je me chargerai de Cathy, l'autre bretonne. D'autres coureurs doivent nous accompagner mais les deux premiers kilomètres courus entre 12 et 14 km/h vont vite dissuader nos camarades de nous suivre.
 

Première côte : "Elle n'existe pas cette côte, Cathy, garde le rythme."
Je connais cette épreuve comme ma poche et je sais que la seule façon de faire une perf, c'est d'arriver le plus vite possible au dixième kilomètre. Après, c'est l'entraînement qui paye ... ou pas.

L'hippodrome puis les Fourneaux, deuxième petite côte de l'épreuve. Maman est là avec son Victor pour nous applaudir ; je frime un peu pour lui faire plaisir et je me concentre à nouveau sur Cathy. Nous avons atteint notre vitesse de croisière : 12 de moyenne. Cathy a eu la bonne idée de prendre une bouteille d'eau que je porte et lui tends tous les deux kilomètres, sentant bien que les ravitaillements ne suffiront pas.

La Plaine sous Ecouves : même si l'incroyable détermination de la "presque petite sœur" lui permet de garder le rythme, je sens que quelque chose se dérègle déjà dans la course. Dès le quatrième kilomètre, je vois des gens marcher, nous rattrapons des filles dont le niveau est bien supérieur à celui de Cathy : Sarah puis Lydie, les copains du cross : Titi, Pierre et Georges sont doublés et n'arrivent finalement plus à nous suivre. 

Le vent du sud tourmente les échines d'un peloton trop tôt accablé ; c'est comme si l'on avait ouvert très loin d'ici les portes de l'Enfer et que ses effluves venaient tourmenter les coureurs. Le premier ravitaillement est pris d'assaut et je demande à Cathy de s'arroser la tête. Personne n'a prévu de casquette, nous n'avons pas vu l'été depuis dix-huit mois et nos corps ont oublié la chaleur. Ils le paient cher.



Première vraie difficulté : les Ragottières et sa belle côte du huitième kilomètre. Nous la montons à 10 km/h au lieu des 11 prévus. L'effort est trop important et je ne mesure pas la souffrance de Cathy qui peine un peu pour retrouver son tempo. Nous perdons juste une minute et nous passons le dixième kilomètre en 50'02". Médavy se gagne dans la plaine, cette minute va nous manquer. Médavy se perd dans la côte, il va en falloir du courage à ma petite sœur ...


Enfin la forêt et son illusoire abri. Le soleil est au plus haut et le coureur cherche l'ombre en rasant la berme. Le deuxième ravitaillement est pris d'assaut et les organismes malmenés des coureurs les poussent à une agressive fébrilité. Je pense aux bénévoles qui passent eux aussi de difficiles instants pendant que je remplis la bouteille de Cathy à l'aide de gobelets.


Quand je la rejoins, Cathy est accompagnée par Lydie qui fait plus que tenir et présente toujours son élégante foulée. Elle ne pourra cependant nous suivre et perdra une minute au kilomètre par rapport à nous dans la montée, certainement moins accoutumée que nous à ce juge de paix qu'est la fameuse côte de Médavy.


Avec une sidérante pugnacité, Cathy grimpe les 5000 m à la vitesse prévue, je suis bluffé et pas encore conscient de son effort. Cela dit, elle s'ouvre à moi par quelques rares mots qui montrent sa souffrance.

Depuis un moment, nous remontons des tas de connaissances dont des champions qui marchent dans la côte et Cathy court encore et toujours ...

Obnubilé par mon instinct de chien de berger, je ne fais que m'occuper de son rythme et de son hydratation et je ne vois plus les hommes tomber autour de nous.

"De l'eau ! de l'eau !" Un type tout pâle est étendu, soutenu par deux autres coureurs. Nous sommes dans le terrible treizième kilomètre.

"Donne-lui la bouteille !" Cathy a gardé assez de lucidité pour voir l'urgence. Je m'exécute. Nous sommes dans la portion la plus pentue et nous n'avons plus d'eau. Heureusement, un point secouriste distribue ses maigres ressources non loin de là et j'arrive à quémander un verre d'eau pendant que la petite sœur poursuit implacablement sa montée.

Brutale accélération, le verre tendu devant moi. Je dois casser le moral de ceux qui m'entourent.

Les deux derniers kilomètres sont terribles mais Cathy ne lâche rien, surtout depuis qu'elle a été annoncée dans les vingt premières féminines. 

Mille mètres ... je regarde ma montre. "Ne me dis rien". Cathy ne veut pas savoir ce qu'on a perdu au niveau du chrono. C'est dur, très dur. La ligne, la foule se resserre, l’objectif est inatteignable, je le sais mais Cathy va battre son record d'1h21 ...

 

Il nous a manqué une quarantaine de secondes pour remplir l'objectif originel malgré une montée dans les temps. Médavy ne s'est pas gagné dans la plaine mais Cathy n'a pas perdu dans la côte.

Je suis stupidement un peu déçu par cette poignée de secondes qui manque et ne mesure pas l'exploit de Cathy. Ce n'est qu'une fois les résultats en main que je m'aperçois qu'elle finit 19ème féminine sur plus de 450, première alençonnaise et 4ème ornaise.

Tous les coureurs aguerris de mon club ont fait 5 min de plus que d’habitude quand ils n'ont pas carrément explosé ou même abandonné ; et je me soucie de 40 secondes ...

Je laisse Cathy un moment pour aller chercher Katia que j'entraîne aussi en vue de notre prochain marathon, accompagnée du "presque petit frère" Erick. Quand nous retrouvons Cathy, elle est à terre, tourmentée par de terribles crampes.


Galou, qui est kiné, s'occupe déjà d'elle et Katia, qui exerce la même profession, épaule sa jeune collègue. Cathy mettra une demi-heure à récupérer avant de repartir en chaussettes. 

Je ne suis pas très fier, d'autant que je viens d'apprendre qu'une jeune homme a perdu la vie en arrivant quelques minutes avant nous. Nous ne sommes pas en acier et le jeu de la course ne vaut pas tant de souffrance. 


"On fait comme on a dit, on repart dans l'autre sens ..." Je n'en crois pas mes oreilles. Les filles veulent rentrer à Alençon à pied. Cathy enfile ses chaussures et c'est reparti en compagnie de Katia, Simone et du grand Hervé qui a si intelligemment géré sa course en levant le pied dès la plaine (1h12 au lieu d'1h07 mais la forme ...).


 A 10 km/h de moyenne, nous rebroussons chemin, Cathy discute avec Hervé pendant que j'accompagne Katia et Simone qui me semblent plus fatiguées. Le fort vent du sud nous assèche le gosier et nos petites réserves d'eau me semblent un peu justes.


Je suis en train de ressentir mes limites et de m'apercevoir que j'ai moi aussi un corps ; je souffre de fatigue et surtout d'un manque d'envie de courir. Je côtoie Katia qui semble avoir mal mais qui ne le dit surtout pas. Ah, ces bretonnes !

Et voici Christophe qui nous dépasse avec sa voiture, ce gars est un rayon de fraîcheur et un saint homme ; il nous attend au carrefour de Radon avec une bouteille d'un litre de Leffe.


Je reprends trois fois de la bière, ce n'est pas raisonnable. Nous repartons ensuite en laissant Christophe se charger de Simone qui en a plein les bottes.

Un kilomètre avant l'arrivée, Cathy propose de marcher pour nous détendre, je suis soulagé.


La fatigue et l'angoisse m'ont vaincu, ma Josette vient à point avec Galou et sa voiture pour ramasser un vieux lutin bien usé.

Le soir, chez Simone qui nous accueillait, je me suis vengé sur les rillettes et le pinard.




Pour toi, jeune homme, qui méritais plus de soleil et de sourires que moi ...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci de passer le test de vérification de mots pour m'indiquer que vous n'êtes pas un robot.