1975
Je venais d'avoir dix-neuf ans et, à l'instar de onze de mes douze autres collègues garçons de la terminale D, je m'apprêtais à échouer consciencieusement au Bac. Les filles, elles, s'en tireraient mieux ... surtout les redoublantes.
Ma chevelure de batteur de hard rock, mes jeans déchirés et mon treillis marqué au feutre me donnaient un aspect totalement en adéquation avec l'époque. On aurait pu dire que j'avais l'air branché si le terme avait alors été usité. Mon apparemment vaste culture rock, mon âge déjà avancé et ma guitare Yamaha pour gaucher me conféraient un certain statut dans mon lycée alençonnais et pourtant ...
Pourtant, alors que j'avais un look à prendre du LSD au petit déjeuner en écoutant Pink Floyd et Tangerine Dream, je n'avais jusqu'ici jamais cherché à consommer de drogue malgré ma fréquentation de milieux où celle-ci circulait librement. J'avais fait des efforts en essayant les cigarettes blondes ou brunes mais, ayant les tuyaux trop près de la sortie, je m'étais rabattu sur la pipe qui me rendait moins nauséeux. Et puis, à cette époque, la pipe donnait un air intelligent et cool du genre "Gardarem lou Larzac". J'eus persisté que j'aurais peut-être fini député écologiste au Parlement Européen, allez savoir ...
Pour tout dire, j'avais quand même l'air un peu con de n'avoir jamais essayé de fumer le moindre joint et je sentais que ça nuisait un peu à ma réputation. De plus, étant d'une nature très curieuse, j'étais plutôt fasciné quand j'entendais le guitariste du groupe du lycée m'expliquer que la dernière fois qu'il avait pris du LSD, il avait conversé télépathiquement avec un extra-terrestre. Quand aux copains qui fumaient de l'herbe, je leur trouvais un air vachement pénétré.
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En route vers un échec assuré, je me pliais cependant au rituel du Bac blanc et, ce lundi après-midi, nous passions une épreuve de quatre heures de philo. Au fond de la salle, à côté de ma copine de classe A ..., je m'apprêtais à torcher un texte quelconque sur un sujet bateau. Ecrire n'avait jamais été un problème pour moi. Travailler en était un autre ...
Or, A..., jeune fille en robe au tissu indien et aux cheveux blonds sentant le patchouli, avait une habitude aussi hebdomadaire qu'amusante : elle se fumait un joint tous les lundis après-midi, ayant, comme à l'accoutumée, reçu par courrier postal deux grammes de haschisch de la part d'une amie habitant Paris. Ce jour de Bac blanc, elle trouva idoine de me proposer de partager son shit et elle m'en bourra aussitôt la pipe en tout bien tout honneur.
Aussi incroyable que cela paraisse, nous avions, à cette époque, obtenu le droit de fumer en classe et c'est en rédigeant l'introduction de ma dissertation que je tirai pour la première fois une bouffée de fruit défendu.
Rien. Deux taffes, trois taffes ... Rien. C'est ça planer ?
Alors que mon cerveau ne réagissait apparemment pas à la drogue, je sentis en moi monter une subite onde de sueur. La Gerbe Finale, la Mère du Vomi, la Septième Vague du Dégobillage était en route et ça ne rigolait pas. Il fallait que je sorte avant que ça sorte !
Arrivé aux toilettes heureusement proches, je sentis que mon corps avait l'intention de se vider nonobstant par l'avant mais aussi par l'arrière et ce, concomitamment. Il fallait faire un choix et il fut vite fait : j’arrosai violemment mes Clarks pendant qu'un jet malodorant à la couleur douteuse tapissait la cuvette sur laquelle j'eus heureusement le temps de m'asseoir. Je restai plié en deux un bon moment puis je trouvai enfin la force de nettoyer mon postérieur et mes chaussures à l'aide de ce papier toilette marron si prisé alors dans les collectivités et dont la principale propriété était d'étaler les substances plutôt que de les absorber.
Enjambant mon repas du midi, je retournai en classe blanc comme un linge et titubant comme un ivrogne. Je venais d'expérimenter la biture sans alcool. Croyez-moi, ça fait mal.
A peine assis, je tombai de ma chaise, ce qui me valut un séjour à l'infirmerie où ma mère vint bientôt me chercher. Ayant réussi à faire passer cette péripétie pour un gros malaise vagal, je restai au chaud chez ma maman le lendemain et j'eus même droit à la visite du médecin de famille. Ce bon docteur, habituellement surexcité et d'une rapidité surprenante (Je l'ai chronométré en cabinet : douze patients à l'heure !), fit ce que je ne l'avais jamais vu faire : après m'avoir ausculté, il s'assit dans un fauteuil du salon et se mit à discourir longuement sur ces enseignants qui en demandaient toujours plus aux adolescents et qui les épuisaient à force de travail. Je n'en revenais pas ; ce praticien d'âge mûr aux cheveux gris en brosse prenait ma défense et celle de ma génération. Il avait raison, nous risquions certainement le burn out... Il me signa un congé de deux jours et me souhaita bon courage pour mon examen.
Finalement, l'événement n'entama pas tant que ça ma réputation au lycée et, l'année suivante, après un magnifique échec au Bac, je conservai mon aura de redoublant vraiment très cool au look rebelle à la Franck Zappa.
Bien des années plus tard, j'appris que ce héros rock de notre adolescence n'avait jamais rien pris de plus fort que du café ou qu'un verre de Bordeaux. Quant à moi, j'étais vacciné et je n'approchai plus de la moindre substance stupéfiante. Par prudence, j'arrêtai même de fumer la pipe quelques années plus tard. On ne sait jamais.
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