Six heures du matin, pas de nouvelles. Bon, j'y vais. Boudiou, quelle idée de me défoncer ainsi sur les 10 km du Mans trois jours plus tôt ! J'ai les jambons comme des poutres et le divertisseur comme un foulard mais ce qui est le plus liquide chez moi, c'est les boyaux de la tête. J'ai passé un samedi d'enfer à mater le téléphone ; ce dimanche, il faut que je sorte. Et puis, Erick le presque petit frère compte sur moi. Et puis, je vais avoir besoin de lui...
Erick, Katia, Annick, Cathy
J'ai averti les filles, ce jour d'hui, je m'occupe du petit frère et je ne passerai pas les 61 bornes à suivre leur joli derrière. Moi et Erick, nous allons partir en queue de peloton et nous allons y rester. Mon rognologue préféré est en délicatesse avec ses tendons d'Achille et il n'a aucune expérience au-delà des 42 km.
119 concurrents dont seulement 11 femmes prennent le départ de l'épreuve. 103 finiront dont 9 féminines, cinq d'entre elles faisant partie de notre groupe, les Trailers d'Ecouves. Les 500 autres coureurs du Trail se sont répartis sur le 35 et le 17 km. Sage décision, la difficulté du 61 km ne réside pas dans son dénivelé (1350m) mais dans la nature de son terrain piégeux.
Nous cheminons dès le début avec un groupe emmené par Annick, l'une des deux V3F. "Si tu suis Annick, tu finiras" ai-je dit à mon compagnon. Increvable et d'une extrême endurance, Annick a affronté les cruelles épreuves de la vie sans jamais baisser les bras. C'est une "plusieurs fois grand-mère" indestructible qui a même survécu à une chute dans un ravin lors de la Diagonale des Fous. J'éprouve un grand respect pour cette femme dont la simplicité et la franchise le disputent à son bon cœur et à sa disponibilité.
Arlette, Patrick et Corinne complètent le groupe. Nous atteignons le Vignage en 40 min puis nous grimpons ensuite vers les Arcis. Nous sommes sur des bases de huit heures mais cette estimation s'avèrera présomptueuse. Nous mangeons notre pain blanc sans vraiment en avoir conscience, trop occupés par le dénivelé bien touffu qui poutre les cuisses et tire Achille bien mieux que Patrocle ne pouvait le faire.
SMS : "Elle est entrée en salle de travail." Bon, j'ai le temps. Heureusement que je ne cours pas seul, à ce genre de nouvelle je serais capable de prendre deux km/h en accélération et finir décédé les deux jambes dans les étangs de Fontenai comme en 2007. La sagesse commande à l'homme d'attendre, surtout quand l'homme va pour la première fois être grand-père et qu'il n'a rien à gagner à tourner autour de la maternité en attendant que sa fille déballe la prochaine génération. Le Lutin, lui, il ronge son frein et se concentre sur son Erick qui va l'aider à patienter.
Profitons de la beauté du lieu avant d'arriver à Fontenai, mon Erick trotte avec aisance et se détache un peu du groupe, Annick a pris son train de sénateur. Nous sommes sur des bases de 8h30 en arrivant aux étangs. Les camarades commencent à avoir la tête dans le guidon et je dois élever la voix pour qu'ils s'aperçoivent de la beauté des Ents habitant ce lieu.
SMS : "Le travail a commencé." Et on n'est pas encore au tiers ! Bon, il faut que je me calme. Ça ne se fait pas comme ça un premier enfant, et puis je ne suis que le père de la maman. Et puis, et puis... je vais exploser nom de Dieu !
Non, faisons confiance à notre instinct de chien de berger et véhiculons notre Erick à bon port.
Les réjouissances commencent par la Dalle d'Ecouves, une zone où chaque pas est un piège. Les kinés d'Alençon ne se sont pas foulés en se mettant en cheville avec l'organisation pour nous faire passer par là. Je connais un raccourci évitant cette chausse-trape mais je ne ferai aucune entorse au règlement.
Premier ravito au Verdier, il ne reste plus qu'un petit marathon, yes ! J'insiste sur l'hydratation et la nourriture, la suite va être raide les copains !
On ne descend pas bêtement au Vignage en prenant le sentier, non ; ce serait trop facile. Ces sadiques de la FSGT nous font ramper sur des traces de sangliers qu'ils osent appeler des chemins. Nous montons et descendons deux fois la masse de grès armoricain du rocher d'escalade pour finir par grimper la fameuse cheminée du Mustang.
Plus agiles que nos camarades, nous les perdons bientôt de vue en plongeant vers Pierre-Chien et son terrible dévers.
Nous sortons de là pour nous diriger vers le Signal d'Ecouves (413 m) ; je ressens un coup de fatigue ou plutôt un début de contractions... Décidément, Dame Nature est une dure-mère. Je pense à ma fille en espérant qu'elle ne voie pas la grosse aiguille qui lui rentre dans le dos. Erick commence à chauffer des carters, pour lui, c'est un périple duraille. C'est pas le moment de flancher, le ravito du 30ème n'est pas loin, on va pouvoir récupérer...
Ben non, alors que nous venons d'être rejoints par Annick, nous apercevons un type qui gerbe sa course en se tordant de douleur. Erick a été urgentiste dans son jeune temps et il teste le gars dont le cas semble assez sérieux pour qu'on ne continue pas notre chemin en lui donnant un coup de pied au passage. Pendant que je téléphone aux secours, les trois derniers coureurs arrivent. Ils nous aident à couvrir le malade qui tremble de froid en prêtant leurs affaires. Annick repart bientôt avec les autres pendant que nous veillons le trailer qui semble reprendre ses esprits.
Après une vingtaine de minutes, le concurrent est pris en charge et nous repartons vers le signal et la Verrerie du Gast où se trouve le deuxième ravitaillement. Malgré la coupure, Erick semble en forme et c'est moi qui ai du mal à pousser.
Pour le coup, nous sommes vraiment les derniers du trail, ce qui n'empêche pas les bénévoles du deuxième ravito d'être aux petits soins avec nous. Je bâfre des chips et du coca ; diététique avant tout. Je pense également à ma fille chérie qui n'a pas bu une bière depuis neuf mois. Ah, la vie est dure parfois.
Les derniers 20km vont se faire sur une partie euh... un peu humide de la forêt. C'est dans la traversée des Grands Ponts Besnard que nous repassons Arlette, Corine et Patrick sans faire un pli. Annick, s'étant mise en mode 4x4 les a laissés et terminera une vingtaine de minutes devant nous.
Nous passons près du Carrefour de la Branloire mais, bizarrement, je suis mollement motivé par ce lieu pourtant mythique d'Ecouves à l'instar de la Fosse à la Femme. Le terrain est de plus en plus trempé et Erick est tellement à boue que j'hésite à lui parler sèchement pour le motiver.
Arrivé au parc animalier du Bouillon, Erick sait qu'il va en souper encore un moment car il faut se dépêcher d'arriver à la Chapelle-près-Sées qui se trouve à peu de distance du 50ème km.
"Mesdames et messieurs, Erick vient de passer les 50 km !" Mes cris n’effraient même pas les chouettes qui nichent en attendant le soir. Depuis le 42ème, mon camarade court dans l'inconnu mais il sait qu'il va finir même s'il roule maintenant sur les jantes, le man !
Heureusement, le dénivelé des dix derniers km est plus que modeste et nous courons sur des sentiers familiers. Ça sent l'écurie ! Allez, plus que trois km euh... non, plutôt cinq car on a droit à un détour par les Chauvières, histoire de goûter une dernière fois à la boue des fois qu'on en aurait oublié le goût.
"A la bière, à la bière hurlè-je en arrivant à Radon, Erick, redresse le museau, on nous attend !"
9h32, nous arrivons 99 et 100 sur 103 mais acclamés comme des champions par les amis. Cathy et Katia nous ont mis 1h20 dans la vue, j'ai dû trop bien les entraîner...
Photo Stéphane
Epilogue :
Après deux verres de bière, je me sens mieux. Le portable sonne, c'est ma Josette qui m'annonce la bonne nouvelle. Silence de la quinzaine d'Ecouviens présents...
"C'est une fille, elle s'appelle Arielle. Elle est née il y a une heure."
Applaudissements et cris de joie. Dans la foulée, le portable chante à nouveau et je reçois une photo de ma fille si belle avec son nouveau-né dans les bras. J'en ai les larmes aux yeux.
A peine le temps d’avaler un verre de Gevrey et je me fais conduire à la maison où, en sortant du bain, je reçois un coup de fil de mon gendre : "Vous pouvez venir, elles sont dans leur chambre."
Voilà, je suis vraiment grand-père et il fallait bien courir 61 km pour réaliser cela. Merci Erick de m'avoir accompagné sur ce chemin si difficile et pourtant si beau.
un grand merci plutôt à toi Thierry pour m'avoir permis de croire que c'était "faisable" et pour m'avoir permis de terminer ....
RépondreSupprimersans le lutin, je crois que j'aurai avec plaisir, retiré mes chaussures, enlevé mon dossard, pris une barre de céréale et me serai allonger sous ce magnifique chêne près des étangs pour profiter de cette belle journée ...
mais tu as su m'emmener jusqu'au bout de ce chemin et me permettre de dire légitimement maintenant (avec beaucoup de suffisance probablement !!!) que je suis un modeste membre de cette très sympathique et formidable équipe des traileurs d'Ecouves
merci Coach
et au fait, tu choisis quoi : papy, pépé, pépère ?????