mercredi 20 avril 2016

Courir 10

Un ami


Simples connaissances du service militaire, ce n'est qu'aux alentours de la quarantaine que nous avons partagé nos foulées.


Je me souviens très bien de la première fois où nous courûmes ensemble lors d'une épreuve pendant laquelle nous discutâmes de choses et d'autres durant dix kilomètres avant qu'il ne s'envole vers le sommet de la forêt de Perseigne comme s'il lui avait poussé des ailes, me laissant ahaner au pied de la côte du Belvédère. Je m'étais dit que notre groupe, encore modeste à l'époque, avait gagné une fameuse recrue. Je ne m'étais pas trompé, j'avais introduit un sacré ver dans le fruit. Sa fougue sportive et son endurance lui valurent bientôt le surnom de Mustang.

Issu d'une dynastie de serviteurs de l’État, Philippe est né avec un sens aigu du collectif et de l'organisation, c'est pourquoi il est tout naturellement devenu le "tour opérateur" de notre bande de coureurs. Grâce à lui, j'ai pu courir dans l'Aubrac en janvier, vidé par la gastro et congelé par la douche froide prise dans un gymnase sans chauffage à l'arrivée. Sans lui, je n'aurais pas découvert le bonheur de grimper le massif du Pilat dans trente centimètres de neige ou celui de relier St Etienne à Lyon de nuit par moins huit degrés. Parfois, il suffisait qu'une course ait un nom rigolo comme "les Foulées de la Grotte à Jules" pour qu'il m'entraîne dans un coin improbable aux confins du Calvados et de l'Orne ou bien que le profil de la course sorte de l'ordinaire pour que je me retrouve à ramper dans des tuyaux boueux ou à escalader des bottes de paille comme à Hérouville.

Son inscription au forum Kikouroù fut déterminant dans la suite de nos pérégrinations ; et cela nous permit d’élargir considérablement le cercle de nos amis et surtout le mien. Je me demande d'ailleurs comment je peux encore marcher après toutes ces épreuves exotiques lors desquelles nous picolions puis nous courions puis nous re-picolions avec des furieux à casquette rouge. Avec eux, j'ai appris le sens du mot dénivelée que ce soit dans la Drôme, les Hautes Alpes ou dans le Gard où, anecdote, un jeune membre du site était venu nous toucher Philippe et moi pour s'assurer que le Mustang et le Lutin existaient vraiment.

Beaucoup des déplacements organisés par Philippe avaient lieu sur des laps de temps très courts, travail oblige. C'est comme cela que je me retrouvais souvent le lundi matin face à vingt-cinq élèves de CP pleins de vie alors que je n'avais pas récupéré d'une course de montagne faite la veille ni du voyage terminé en pleine nuit. 

Entre nous, ça a toujours été la guerre pour de rire et je me souviens avec émotion de notre combat épique en cross que je gagnais presque toujours alors que Philippe me ridiculisait bien souvent sur les longues distances. Les rôles ont toujours été bien définis : à lui le rôle de sportif sérieux, organisé et endurant, à moi celui de pitre nerveux et agressif toujours prompt aux plaisanteries douteuses.

Près de vingt ans ont passé, Philippe a maintenant intégré l'équipe dirigeante de notre club d'athlétisme et il a plus que sa part dans la renaissance de cette vieille institution alençonnaise, il fait aussi partie des notables du brave et honnête site Kikouroù avec lequel nos collaborations restent fructueuses. Maintenant que nous sommes à la retraite, nous avons pris des habitudes plus bourgeoises dans des hébergements plus confortables en compagnie de nos chères épouses mais nous continuons encore et toujours nos errances sportives de sexagénaires curieux et toujours avides de ce que peut apporter la vie.








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