lundi 20 septembre 2010

Le Grand Raid de la Douve



Nous sommes tous prêts sur la ligne de départ. Le Grand Raid démarre de nuit et nous ne voyons strictement rien mais chacun sent la présence des autres roulés en boule, enchâssés dans la matière fécale de notre hôte. Nous courons tous dans la catégorie Oeufs Embryonnés. Oui, je sais, ce n'est pas le top mais nous avons la rage de vaincre, la rage de vivre.

Un bruit sourd m’apprend que le départ est donné, maintenant, c’est chacun pour soi. Je tombe rapidement et le choc du paquet d’excréments entrant en contact avec le sol me propulse à l’extérieur du groupe.
Là, c’est quitte ou double, ma présence à l’extérieur du tas de crottin me permettra de trouver un hôte rapidement mais, d’autre part, si le temps est trop sec, je risque de me dessécher avant d’arriver à maturité.
Coup de bol, il pleut, je vais pouvoir me développer et attendre la suite en sécurité.

Ça y est, ma préparation physique est terminée, je sors de mon enveloppe et je change de catégorie ; me voilà Miracidium, ça en jette un peu plus.

Il pleut à nouveau. Il ne va pas tarder à venir, il vient toujours. Le voilà : un splendide gastéropode qui me passe dessus, je m’accroche et investis son corps en profitant d’une plaie provoquée par un accouplement récent. Quels libidineux, ces escargots et sado-masos en plus. Ils s’enfoncent des dards dans le corps pour s’exciter mutuellement.
Je chemine dans le corps du mollusque pour arriver au ravitaillement. Je me nourris des tissus intestinaux de mon hôte qui doit bien ressentir une certaine gêne mais il ne comprend certainement pas ce qui lui arrive.
Cette nourriture m’a bien retapé, je vais pouvoir entamer l’étape suivante du Grand Raid. Je me divise et me divise, je me multiplie et me multiplie, je me métamorphose : je change à nouveau de catégorie, je deviens Cercaire, bête de course profilée dotée d’une queue et de ventouses.

Je quitte l’escargot par milliers ; tant mieux, le gluant n’était plus très en forme et sentait déjà la mort et moi, ma religion, c’est la vie, la vie à tout prix.
Me voilà dans l’herbe, je cherche, je fouine, je vois la lumière, j’aspire à la lumière mais elle est inaccessible. Les brins d’herbe sont des géants et je suis incapable de les escalader. Un nouvel hôte est nécessaire.
La voilà, elle vaque à ses occupations, industrieuse, impersonnelle, obsédée par sa tâche. Elle ne me voit pas, je suis trop petit, je m’accroche à elle et la pénètre en m’immisçant entre deux plaques mal ajustées de son armure.
La fourmi continue son travail, je progresse le long de son système nerveux primaire et me fixe sur le ganglion nerveux qui lui sert de cerveau. Nouvelle catégorie : Métacercaire, je réduis la voilure au minimum. Je contrôle mon effort, je me concentre.

Je dois convaincre ma monture d’abandonner son travail et sa personnalité myrmidonienne. Fixé sur son cerveau, je donne mes ordres : « Grimpe, je le veux, grimpe Forest, grimpe .»

Mon esclave se met à grimper le long d’un brin d’herbe, le soleil se rapproche, j’en vois la lueur à travers la carapace de mon hôte. La fourmi s’accroche au sommet du brin à l’aide de ses mandibules et attend.
La chaleur monte, après quelques heures, je sens que l’hyménoptère fatigue ; pire, il risque de se dessécher. Je relâche mon emprise sur son cerveau et aussitôt la fourmi esclave redevient ouvrière et rejoint ses pairs dans la fourmilière où elle passera les plus chaudes heures de la journée à travailler à l’aménagement des chambres à œufs.
J’attends le lendemain matin, mon myrmidon repart au travail et je resserre mon emprise sur son comportement. L’insecte désemparé se remet à se prendre pour un alpiniste en herbe. Nous voilà à nouveau en hauteur à attendre.
Hourra ! Après seulement deux heures de patience, le nouvel hôte se présente : c’est la ligne d’arrivée qui se profile à l’horizon.
Colossal, il est huit millions de fois plus lourd que la fourmi et il ne la voit pas quand il broute l’herbe sur laquelle nous nous trouvons.
Enfin, la boucle est presque bouclée, la fourmi est digérée et je me retrouve dans le système digestif d’un mouton fort semblable à celui que j’ai quitté au départ du Grand Raid. Il ne me reste plus qu’à prendre ma forme adulte : je passe en catégorie Douve.

C’est la classe absolue ! J’ai une ligne d’enfer. Je me précipite vers le foie du mouton que je vais consciencieusement ruiner. Il ne me reste plus qu’à trouver un autre individu identique à moi pour une fécondation croisée. Comme ces obsédés d’escargots, nous sommes hermaphrodites mais incapables de nous auto féconder. Il nous faut donc nous accoupler pour échanger nos spermatozoïdes. Mais là s’arrête la comparaison; nous les douves, nous ne nous livrons ni à de longues heures de lascifs ébats ni à de violents piercings.
Bientôt, j’aurai une équipe de vaillants petits œufs qui prendront le relais et participeront au prochain Grand Raid.
Nous sommes une race de seigneurs !


(Les puristes remarqueront qu'il ne s'agit pas de la grande douve du foie qui parasite la limnée mais d'une espèce proche.)

Documents fournis par les laboratoires Servier (utilisation commerciale interdite) 


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