Il y a pas mal d'années, Richard Strauss, qui était mort depuis un bon moment, m'a raconté cette petite histoire lors d'une écoute extatique de ses quatre derniers lieder interprétés par Lucia Popp. J'espère retranscrire ici sa pensée d'une manière pas trop maladroite. Quels que soient vos goûts musicaux, écoutez cette musique avec votre cœur ; vous ne le regretterez pas.
Im Abendrot
Montreux, Lac Léman
Je viens juste de terminer l'orchestration de ce lied d'après un poème d'Eichendorff. J'ai passé tout l'hiver à sa composition. Je suis allé me promener sur les bords du lac en fin d'après-midi. Le spectacle était magnifique ; le soleil qui brille désormais à l'ouest incendie mes chères Alpes que j'ai célébrées jadis dans cette astucieuse symphonie dont les thèmes montent puis dévalent les pentes du toit de notre Europe.
A travers les peines et les joies,
nous avons marché , la main dans la main.
Maintenant, nous nous reposons tous deux
dans le pays silencieux.
nous avons marché , la main dans la main.
Maintenant, nous nous reposons tous deux
dans le pays silencieux.
Le rouge du couchant se reflète sur la surface si tranquille du Léman. Pour la première fois, cette vision ne me rappelle pas les incendies qui viennent de ravager mon pauvre pays. J'y vois enfin la sérénité de celui qui accepte son destin et qui voit la fin du voyage sans crainte ni remords.
Autour de nous, les vallées s'inclinent,
déjà le ciel s'assombrit.
Seules deux alouettes s'élèvent,
rêvant dans l'air parfumé.
déjà le ciel s'assombrit.
Seules deux alouettes s'élèvent,
rêvant dans l'air parfumé.
Des remords, je n'en ai point, des regrets peut-être...des regrets certainement. Je n'ai pas à rougir d'être resté dans ma chère Allemagne. Que pouvais-je faire d'autre ? Devais-je quitter mon pays à l'âge de quatre-vingts ans ?
J'ai fait des erreurs. Si je n'ai jamais cru aux élucubrations de ces sauvages de Nazis, j'ai cru à la grandeur de mon pays. Cet hymne des Jeux Olympiques de 1936, je sens qu'on va me le reprocher longtemps.
Les Nazis, je n'étais pourtant pas leur ami. Déjà, en 1935, l'interception par la Gestapo d'une de mes lettres à mon ami juif Stefan Sweig m'avait coûté mon poste de directeur de la Reichmusikkammer. Mon fils, marié à une israélite m'ayant donné des petits enfants juifs par filiation, je ne puis être soupçonné d'antisémitisme.
Mais voilà, je ne me suis pas révolté, je ne suis pas parti...
Viens-là et laisse-les tournoyer.
Bientôt il sera l'heure de dormir.
Viens, que nous ne nous perdions pas
dans cette solitude.
Bientôt il sera l'heure de dormir.
Viens, que nous ne nous perdions pas
dans cette solitude.
D'où je suis, je vois les lumières de Montreux s'allumer les unes après les autres. Je tourne inconsciemment la tête vers le Nord, vers ma chère patrie que j'ai dû fuir. Reverrai-je un jour l'Allemagne ?
Le noir envahit la nature et seuls les sommets enneigés des Alpes reflètent encore le rutilant incendie. Je songe aux derniers vers d'Eichendorff et je me demande si je vivrai assez longtemps pour entendre ce lied.
O calme incommensurable du soir,
si profond dans le rouge du couchant !
Comme nous sommes las de marcher !
Est-ce peut-être ceci la mort ?
si profond dans le rouge du couchant !
Comme nous sommes las de marcher !
Est-ce peut-être ceci la mort ?
Il est temps de rentrer, mes proches vont s'inquiéter...
Richard Strauss (1864-1949) :
Im Abendrot (1947)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci de passer le test de vérification de mots pour m'indiquer que vous n'êtes pas un robot.