Cette saison fut une des pires pour moi. Depuis juillet, j’avais l’impression de nager dans du mercure, épais et toxique.
J’avais pourtant progressé dans ma maîtrise de la cohérence spatiale au prix de gros efforts sur moi-même. Des efforts tels qu’ils me retournaient parfois comme un gant, exposant au grand jour des facettes inversées que j’avais du mal à reconnaître.
Malheureusement, même en étant passé maître en appréhension de la réalité, je ne pouvais m’empêcher de voir çà et là les déformations de l’espace qui m’entourait.
*****
Dernière d’une série de neuf compétitions en huit semaines, ce Trail d’Ecouves était un peu un bilan pour moi et presque la conclusion de cette saison 2009-2010.
Etant conscient de mon peu de fraîcheur, je m’alignai l’esprit assez léger, sans grande pression sur le 35 km.
Etant conscient de mon peu de fraîcheur, je m’alignai l’esprit assez léger, sans grande pression sur le 35 km.
Courir le 61 km comme à l’accoutumée eut été téméraire et je faisais pour une fois preuve de modération.
M’étant ouvert de mon intention de courir avec sagesse, je rencontrai un écho favorable auprès de mes connaissances qui m’annoncèrent leur intention de m’accompagner.
Vincent le sage avec qui j’avais fait le trail d’Erquy, le jeune Alexandre, mon collègue et même Reynald le véloce m’avaient dit qu’ils courraient avec moi.
Mais voilà, la course, c’est un peu la vie en miniature, aussi imprévisible que cruelle et généreuse. Dès le départ, je vis Reynald et Alexandre disparaître pour aller chercher les 15ème et 17ème places hors de portée de ma modeste personne. Je n’avais pas leur classe et ils n’avaient rien à faire près de moi.
Pas de trace de Vincent… Je me retrouvai seul avec moi-même, sans même mon Ipod pour me tenir compagnie. J’entamai les 35 km d’une course solitaire...
Un trail avec moi-même
Dès la montée au-dessus de Radon, je sens que je dois courir cette épreuve seul. La solitude, c’est comme un interminable après-midi d’été quand vous avez dix ans, desséchant et presque infini. Et il faut que je compose avec cela…
Heureusement, j’ai droit à un peu de distraction et je m’envole rapidement sur les premières descentes, traversant presque les ombres qui progressent avec moi. Cette vitesse me permet de recoller les morceaux épars de l’espace qui m’entoure et je vois mieux ce qui m’environne.
Heureusement, j’ai droit à un peu de distraction et je m’envole rapidement sur les premières descentes, traversant presque les ombres qui progressent avec moi. Cette vitesse me permet de recoller les morceaux épars de l’espace qui m’entoure et je vois mieux ce qui m’environne.
Ne cédant cependant pas à l’euphorie, je parcours assez tranquillement le terrain allant des Chauvières au Rendez-vous malgré la relative facilité du terrain, je sais que les vraies difficultés se situent dans la deuxième partie du trail. J'ai à composer entre une nécessaire économie d’énergie et une vitesse minimum me permettant d’échapper à l’enlisement dans un décor fluctuant et incertain.
Des trous avec de l’eau dedans…. J’avance sinueusement, essayant d’éviter le regard de ceux qui y veillent. Le terrain m’est familier et j’accélère progressivement. Comme cela m’était arrivé il y a deux ans, cet effort me permet de modifier le terrain qui se met à descendre de plus en plus jusqu’à devenir presque dangereux.
Je me calme, inutile de dévaler ainsi sur un terrain quasiment plat. Je risque non seulement de m’épuiser mais aussi de voir s’inverser la tendance et de me trouver face à des murs comme lorsque je me battais avec l’Optimum.
L’Optimum avait bien failli me perdre et je ne le cherchais plus. Plus d’illusions, d’accord, mais plus de gouffres… Finalement, j’y avais gagné à circuler dans un monde relativement plat, même si les murs se déchiraient encore régulièrement.
J’approche des quinze kilomètres et c’est la grande bascule : je me retrouve face à la première grande montée qui va me conduire en plusieurs étapes à la Verrerie du Gast. Une ombre inconsciente me double en courant dans la montée. Sa vitesse supérieure à la mienne me permet de distinguer un peu ses traits fluctuants. Il est jeune et je vois déjà les esprits de la brume le suivre. Il ne terminera pas.
Cette impression sera confirmée quand, par deux fois, je le passerai en constatant que sa substance diminue. Il se vide progressivement. Je connais malheureusement ce qu’il doit ressentir, comme la sensation d’une bouteille qui se renverse.
C’est lors d’une des paradoxales descentes de cette longue montée vers la Verrerie que je vois une biche traverser le sentier d’un bond surnaturel. L’animal est énorme, anormal. Aucune biche ne fait une taille aussi imposante. Elle emporte les lambeaux de l’ombre que je suivais depuis un moment…
Mes mains traversant déjà les branches comme si elles étaient des ectoplasmes, je ne m’arrête pas au ravitaillement de la Verrerie.
J’arrive cependant à reconnaître à cet endroit une amie courageusement engagée sur le 61 km. Je parle même avec elle, ne pouvant me départir d’une certaine admiration pour cette femme qui, après avoir vaincu le cancer, s’attaque à si forte partie. Elle ignore heureusement que par son effort, elle crée devant elle une onde de réalité qui rend provisoirement cohérent l’espace la précédant mais a pour conséquence de durcir l’avenir qui peut se faire si compact qu’il devient impénétrable.
Tout cet effort me déséquilibre un peu et je la quitte finalement, gravissant maintenant les difficultés en courant.
Le Signal d’Ecouves, point culminant de la forêt (417m). Maintenant, il n’y a plus qu'à descendre en espérant ne pas me perdre dans les marais précédant Pierre-Chien. Dans ces lieux, les arbres sont parfois hostiles. Impossible de leur parler…
Malgré ma prudence, j’ai un moment d’inattention et je perds de vue les fumerolles rouges et blanches que forment les rubalises remontées intentionnellement par des hêtres vindicatifs. Je me ressaisis vite et retrouve mon chemin. Je perçois même les ombres d’autres concurrents lors de la remontée vers Pierre-Chien.
Je m’aperçois que j’accélère encore, ce qui me permet d’apercevoir quelques taches de bleu au-dessus des arbres. Je reconstruis un environnement cohérent. C’est bon signe, ma confrontation avec le vide semble ne pas se passer trop mal…
Amusant... Alors que je tournoie sur des chemins moins mouvants qu’auparavant, je perçois clairement un concurrent debout au milieu de la forêt. Il est aussi crûment réel qu’incongru et il téléphone à son épouse, lui demandant de venir le chercher. Coup de chance pour lui, j’aperçois un ruban d’asphalte qui se constitue non loin de là. Sa femme va pouvoir le récupérer.
Là, un passeur muni d’une rame m’indique le chemin. Je frémis en pensant aux pauvres ombres du 61 km qui doivent encore aller se perdre dans les étangs de Fontenai.
Je me retrouve bientôt au Vignage que je descends, des étincelles aux pieds, comme à mon habitude. La remontée vers les Petits Bois et le Chêne à la Taverne est d’autant plus aisée que je perçois à nouveau les couleurs et les contours de manière presque normale. Cette course correctement gérée m’a permis de donner un peu de forme à un espace qui n’en a guère.
Quelqu’un me dépasse et ce n’est plus une ombre… C’est fort naturellement que j’échange quelques mots avec Agnès qui va allègrement vers son podium de deuxième féminine. Je suis un moment son sillage de réalité mais je descends cependant seul vers Radon.
J’appréhende quelque peu la conclusion...
Je viens de passer presque quatre heures seul avec moi-même et la rencontre avec l’intense activité du champ de l’arrivée risque de me saisir brutalement, me faisant traverser trop vite les couches du réel.
C’est à ce moment que survient une sorte de miracle. Vincent apparaît subitement derrière moi et la solidité de son intense et sereine personnalité me projette en avant. Il me suivait depuis longtemps sans que je le soupçonne et sa vaste aura de cohérence m’avait certainement aidé à ne pas m'égarer dans les dédales de ma course aléatoire.
Quatre cents mètres ensemble, ce n’est rien et déjà beaucoup. Le sourire et la quiétude de Vincent m’ont projeté sans douleur vers l’arrivée.
C’est à ce moment que survient une sorte de miracle. Vincent apparaît subitement derrière moi et la solidité de son intense et sereine personnalité me projette en avant. Il me suivait depuis longtemps sans que je le soupçonne et sa vaste aura de cohérence m’avait certainement aidé à ne pas m'égarer dans les dédales de ma course aléatoire.
Quatre cents mètres ensemble, ce n’est rien et déjà beaucoup. Le sourire et la quiétude de Vincent m’ont projeté sans douleur vers l’arrivée.
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