jeudi 27 novembre 2014

Pater Noster Ergaster : Born to run

"Tu cours, t'es fou, c'est pas naturel, c'est mauvais pour les genoux, c'est mauvais pour la colonne !" 

Combien de fois les coureurs à pied ont entendu ces propos de la part de leur famille ou de leurs collègues de bureau. C'est vrai, quelqu'un qui court des marathons (42 kilomèèèètres !), il n'est pas normal. J'ai même entendu dire qu'il y en avait qui faisaient des 100km, des extra-terrestres, des suicidaires, des fous ! C'est pas humain, ça.

Ben si, c'est humain et ça date de longtemps, très longtemps...

Représentation tirée du site Shadowness

Lui, c'est le garçon du Turkana (Kenya), un Homo Erectus primitif ou Homo Ergaster. Son espèce a 1,8 millions d'années (lui date de 1,5 MA) et il est mort à l'âge de 8 ans alors qu'il faisait déjà 1,63 m, ce qui peut paraître surprenant mais qui s'explique par une croissance rapide qu'on retrouve aussi chez les chimpanzés.


Alors que ses lointains cousins non-Homo comme Lucy étaient plutôt des charognards, Ergaster, lui, est un chasseur d'environ 1m70 à l'âge adulte qui, à cause d'une nature devenue moins généreuse, est obligé de poursuivre ses proies pendant des heures jusqu’à ce qu'elles s'épuisent par hyperthermie. Il ne lui restera plus ensuite qu'à les tuer avec son beau biface tout neuf qu'il vient juste d'inventer.

Biface (Lac de Turkana)

Cette technique de chasse à courre demande des caractéristiques bien précises en dehors de la station bipédique acquise depuis les australopithèques : il faut à Ergaster de longues jambes et surtout une peau qui lui permette de bien se ventiler sans attraper le genre de coup de chaleur qui tuera à terme le gibier qu'il poursuit. Cette peau qu'Ergaster va nous laisser en héritage fera de nous une des très rares espèces capables de pratiquer la course d'endurance ; tout est histoire de poils et de glandes...

Ben oui, il y a bien des animaux qui courent pour chasser mais ils ont une fourrure et les glandes qu'il ne faut pas... Regardez Usain le Guépard, il sprinte en moyenne à 100 km/h mais sa course n'excède jamais 30 secondes, incapable qu'il est de se ventiler, et sa température monte à 40,5 degrés. Je ne vous dis pas l'accumulation d'acide lactique produite par cette activité anaérobique...


Des découvertes génétiques récentes sur des os datant de l'époque Ergaster ont mis en évidence la présence du gène MC1R (MelanoCortin 1 Receptor) responsable de la couleur foncée de la peau, ce qui n'est pas rien car tout laisse à penser que les ancêtres d'Ergaster avaient une peau à dominante rose sous leur fourrure comme les chimpanzés. Notre chasseur, gêné par sa fourrure qui l'empêchait de courir longtemps a commencé à perdre ses poils et, pour ne pas ressembler à un Anglais sur la Côte d'Azur, il a progressivement adopté une peau noire plus apte à résister au chaud soleil de la savane.

Cela dit, le bronzage ne suffit pas car même si notre ancêtre ne sprinte pas, il chauffe quand même progressivement et risque la mort par hyperthermie comme la proie qu'il poursuit. C'est là que ses glandes sudoripares interviennent. Il en existe deux types :


Les glandes apocrines produisent une sueur épaisse chargée en composés lipidiques, urée et ammoniaque ainsi qu'en phéromones* et leur canal excréteur débouche chacun à la base d'un poil. Nombreuses chez les animaux à fourrure, elles sont rares chez l'homme et liées à des zones précises : aisselles, pubis, parties génitales, zone mammaire. Cette transpiration apocrine, bien que très faible en quantité, est responsable de la fameuse odeur corporelle qui gêne les collègues de bureau. Elle n'apparaît chez l'homme qu'à la puberté et est surtout stimulée par l'émotion et l'excitation sexuelle. A noter : le rôle des poils en l'occurrence n'est pas de protéger ces zones mais de ralentir l'évaporation de la sueur apocrine pour qu'elle diffuse mieux ses phéromones.

*Les glandes apocrines axillaires (aisselles), particulièrement actives, expliqueraient partiellement le grand nombre de danses traditionnelles (ou pas) qui se pratiquent les bras en l'air, ce genre d'activité étant évidemment lié à la stratégie de reproduction de l'espèce. A l'exception notable de la danse irlandaise qui se pratique les bras le long du corps mais dont les bonds spectaculaires doivent libérer suffisamment d'hormones issues des glandes situées dans des zones euh... situées plus bas.


Les glandes eccrines, réparties sur tout le corps, ne dépendent pas des poils. Elles produisent une transpiration très liquide additionnée de sels minéraux et d'acide lactique. Elles existent en quantité variable chez les animaux mais sont très nombreuses chez l'homme, elles peuvent secréter jusqu'à 3 litres d'eau par heure. Leur rôle principal est la thermorégulation ; en évacuant de l'eau, elles refroidissent le corps, lui évitant la surchauffe.
En dehors de l'homme, seul le cheval utilise ce type de thermorégulation, ce qui lui permet de courir longtemps ou d'avoir une endurance particulière au travail (chevaux de trait).

Après la course...

Voilà donc le secret de ce coureur de fond unique qu'est l'homme, depuis son ancêtre Ergaster, il est dépourvu de poils et muni d'un système efficace de thermorégulation, c'est un athlète né, plus profilé pour le marathon que pour le cent mètres.

Quand je pense qu'il y en a qui croient que courir, ce n'est pas naturel... 

Dessin André Chéret




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