lundi 3 octobre 2022

100 km de Millau 2022

Jamais deux sans trois, moi et les 100 km de Millau c'est une singulière histoire... Je me suis toujours considéré comme un coureur de semi-marathon et j'ai toujours fait mes meilleurs classements sur les moyennes distances. Et pourtant Millau restera comme ma meilleure expérience de course à pied.

En 2014 et 2019 j'avais fait autour de 12h55 ; cette année je me suis donné une fourchette allant de 13 à 15 heures. Restons prudent, j'ai 67 ans dans un peu plus de trois mois et je sens bien que la machine n'est plus si bien huilée ; je m'en suis aperçu au Trail de Val-Cenis en août où j'ai sué sang et eau pour parcourir 37 petits (mais pentuuuus) kilomètres. Cassons tout de suite le suspense : j'ai fait plus ; à Millau, l'important n'est point le chrono mais le vécu.

 
Nous sommes dix du groupe d'Ecouves à faire le voyage, moitié sur le marathon et moitié sur le 100 km. Ma Josette est de l'aventure en accompagnatrice de Colette qui a le courage d'effectuer son premier marathon sur ce parcours ondulant avec ses 400 mètres de dénivelé. A Millau, pas de pression inutile, on a 9h00 pour courir ce marathon, chacun le vit comme il le veut. Elles finiront en 6h38', 4ème et 5ème M6 F sur 12. Pas mal les Mamies !

Je suis le seul à avoir vécu le cent bornes et je me suis répandu en conseils de prudence auprès des autres : On-ne-part-pas-vite ! On en garde pour St Affrique car ça grimpe nom de d'là ! J'ai dû être écouté car ils ont tous terminé loin devant moi avec une mention spéciale pour Stéphanie qui boucle son premier 100 en 11h20 (5ème M2F) et Eric qui, bien que d'un âge aussi vénérable que le mien, termine juste derrière la véloce donzelle et empoche la 1ère place M6M sur 76 croulants.

Bon maintenant on ne va plus parler des winners mais de moi. Je suis raisonnablement confiant concernant le déroulé de la course que je connais bien. Mon but est de finir dans un délai raisonnable et dans un état acceptable. J'ai juste fait de la rando et du canoé cette semaine et mon état de fraîcheur n'excède pas celui d'un bon camembert ornais qui ne déborde que légèrement de son emballage.

On n'est pas loin de 2 000 rue Jean Jaurès à attendre le départ. Nous avons tous précédemment effectué en délégation le chemin du Parc de la Victoire jusqu'ici. L'ambiance est populaire et bon enfant. Je regarde autour de moi : la grande majorité des participants est engagée sur le 100 bornes et, ô surprise, ce sont des gens, des vrais : des petits, des gros, des vieux, quelques jeunes ; tous équipés de tenues parfaitement modestes allant du bric au broc en passant par certains déguisements baroques mais jamais tocs. On est loin des trails vécus précédemment ; je me rappelle particulièrement du Tour des Glaciers de la Vanoise où je me demandais ce que je faisais là avec des types équipés comme des Ferraris ayant sur le dos l'équivalent d'un bon mois de ma pension de retraite... 

C'est bien simple, ici j'ai l'impression d'être au départ d'un cross FSGT sauf qu'on va faire l'équivalent de vingt cross sans parler du dénivelé.

Dix heures : Nous sortons vite de la ville, ça grimpe un peu, normal, nous allons d'abord effectuer un marathon dans les gorges du Tarn. Manu le Diable m'accompagne, comme les autres il est novice sur la distance et reste très prudent malgré son jeune âge : tout juste 50. Notre rythme est fixé à 9 à l'heure et nous le tenons facilement jusqu'au semi. 

 
Au bout de sept bornes environ, les vélos des suiveurs rejoignent la course, là c'est un peu le bazar car certains font un peu n'importe quoi et il faut parfois zigzaguer pour les éviter. Ils font les kékés les cyclistes mais ils mangent leur pain blanc car rester dix à vingt heures le cul sur une selle c'est pas si facile et j’en verrai un bon nombre plus épuisés que leurs coureurs.

Le temps est idéal, ni trop chaud ni trop froid. Au bout de vingt km, nous tournons au Rozier pour franchir le Tarn et grimpons à Peyreleau. J'ai bien dit grimpons car nous montons assez haut au-dessus de la rivière et la route se met à onduler grave... J'ai le plaisir pervers de voir les premiers cyclistes mettre pied à terre.


Apparemment, tout va très bien mais en fait la mécanique se dérègle prématurément. En ai-je trop fait la semaine précédente, me suis-je trop entraîné depuis juillet, ai-je dépassé la date limite de conservation ? Je regarde ma montre, je suis sous les neuf à l'heure, c'est trop tôt. Au trentième km, je fais bonne figure pour la photo mais en fait, je grippe, je grince, je grimace intérieurement. Ça va pas être facile.

Depuis un moment, nous faisons le yoyo avec Stéphanos rencontré fortuitement en 2019 sur cette épreuve et incidemment cette année sur la même course. On doit être fait pour se voir à Millau. Le monde est petit et le hasard est grand. Je laisse le Diable partir avec le Stéphanos et je me concentre sur moi, c'est nécessaire si je veux finir "en bonnet difforme" comme disait Coluche.

J'ai très mal aux jambes et je me mets à m'accroupir à chaque ravito pour récupérer ; de plus j'ai mal aux deux épaules conséquence des 11 bornes de canoé du jeudi.

Le marathon s'effectue dans un rare inconfort compte tenu du rythme de sénateur que j'ai adopté. Je reste presque un quart d'heure au ravito avant d’attaquer la vraie course, c'est à dire l'aller-retour Millau-St Affrique et ses 820 m de dénivelé pour 58 bons km passant par St Georges et St Rome. Comme dit la sagesse populaire : "Qui voit St Georges doit rendre gorge" "C'est à St Rome que tombe l'homme" "A St Affrique, t'as plus la trique" - Tout un programme...

D'abord cette p... de côte du viaduc. Par fierté et donc par bêtise, je ne marche pas durant ces deux km bien bien raides, je récupère un peu en descendant vers St Georges où je dois m'asseoir pour me regrouper les abattis. 

Mais vertudieu de nom d'une turlutte, je ne me rappelais pas que ça ondulait à ce point entre St Georges et St Rome ! Je ne suis plus qu'à sept à l'heure et j'ai le moral qui descend plus vite que mon pouvoir d’achat de retraité. Je commence à envisager un éventuel abandon et en même temps, je me traite d'imbécile idiot bête : je ne vais quand même pas laisser tomber alors que j'ai tout mon temps pour finir, c'est ça Millau : t'es vieux, t'es pas beau, t'es mal bouiné, t'as la prostate qui clignote mais on te laisse le temps de finir. Oh et puis, Béa, Fab et Patricia se sont précipités après leur marathon pour venir m'encourager au pied de la côte de Tiergues à la sortie de St Rome. Ça me fait vraiment plaisir et me donne un  coup de fouet. Je suis presque revenu au temps de mes premières érections : je grimpe la fameuse côte sans débander comme en 2019, je cours durant ces cinq bornes de montée. C'est beau. C'est con : quand je descends vers St Affrique, je n'ai plus de vélocité, je ne cours pas, je flotte mollement. J'ai le temps d'encourager Stéphanie, Eric et Sabrina qui remontent en sens inverse. 

Je vais rester une grosse vingtaine de minutes à St Affrique pour me changer et bien manger : pain, jambon et soupe, ça fait des heures que je ne supporte plus le sucré. Je prends mon temps pour parler avec les bénévoles. Ils sont vraiment gentils dans le coin et je les remercie à plusieurs reprises. Millau c'est aussi un voyage au pays des gens qui ne se prennent pas la tête. En sortant de la salle des fêtes, je m'aperçois que j'ai oublié mon éclairage : trop tard, le camion des consignes est parti. Bon, les lutins voient bien la nuit et je ne serai gêné que par les lumières des vélos allant en sens inverse mais quand même j'ai enfreint le règlement. Personne ne me fera la remarque, ils sont cools j'vous dis.

La remontée de la côte de Tiergues est bien pénible, je ne cours qu'à 6,5 à l'heure et quand je descends vers St Rome, je ne vais pas plus vite avec en prime un sacré mal de genoux. Je reste un moment dans la salle du ravito et je prends une décision allant à l'encontre de mon tempérament de crossman : je vais marcher et pis d'abord j'en ai bien le droit, crotte alors ! J'envoie un SMS à mon épouse : c'est cramé pour l'apéro, je rentre tard et je veux qu'à mon retour les enfants soient couchés, ils ont de la route à faire demain !

Eh bien, dès que j'adopte la technique de marche nordique (sans les bâtons), je me redresse, mon dos ne me fait plus souffrir pas plus que mes jambes. De surcroît, je progresse entre 5,5 et 6 à l'heure. 

St Georges, mon mental se reforge, je me restaure une dernière fois et prends le temps de remercier à nouveau les bénévoles : "Pas de bénévoles, pas de course" dis-je ; ce à quoi on me répond en riant : "Pas de coureurs pas de course". Ces gens passent la nuit dehors debout derrière leur table et ils ont encore assez d'énergie dans le sourire pour te réchauffer le cœur.


Le meilleur moment : tu t'enfonces dans la nuit, tu oublies ta douleur et tu respires la douceur de la vie si dure et si rebelle. Je te jure, tu planes lors de ces derniers kilomètres qui font de toi un être diaphane et fragile comme une cascade de sentiments dentelliers. Ce trip, je ne l'ai vécu qu'à Millau et que de nuit.

Après le viaduc, je retourne sur Terre et je discute un moment avec une jeune fille qui pousse son vélo. Son coureur est autre part ou outre-monde, je ne sais. En arrivant à Creissels, elle me propose très gentiment de me prendre en photo.  


Finalement, je ne suis pas détruit car j'ai bien récupéré grâce à la marche et je me permets de courir en arrivant en ville. C'est peut-être un coup de mieux ou de fierté. Je boucle mon troisième 100 km en 15h32 min et je n'ai même pas honte d'avoir fait presque deux heures quarante de plus que précédemment.


Ma Josette est là ainsi que Béa au grand cœur qui n'a pas voulu aller se coucher, sale gamine ! Le Diable m'attend aussi depuis une heure. Nous rentrons au gîte à pied, il fait doux et pour un temps j'ai le sentiment cent bornard et sans souci. Sans doute...




2 commentaires:

  1. Super récit ! Super homme super mental de la course à pied 😉

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  2. RIen à dire, la larme à l'oeil... qu'elle nouille! à part BRAVO

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