mardi 22 mars 2011

Naguère, des écoles - Episode 3

Les débuts


On vous a déjà confié vingt-sept gamins six heures par jour pendant dix mois ? Moi, oui. Et je n’en menais pas large en cette première année d’enseignement…

Les stages, c’est bien, mais la responsabilité, c’est autre chose. J’étais terrifié quand j’ai pris ma première vraie classe, comme un moussaillon à qui on confie la barre et qui s’aperçoit que tout l’équipage s’est fait la malle.

La présence de ma femme, déjà professionnellement expérimentée, dans la même école et celle de collègues bien sympas n’y faisait rien. Mais qu’est-ce que j'allais bien pouvoir faire pour les occuper pendant tout ce temps ?

Pour répondre à cette angoissante question, je fis ce que je n’avais jamais fait jusqu’ici : je me mis à bosser. Comme un malade. J’en ai passé des heures dans ce préfabriqué amianté et mal chauffé à préparer le boulot et les tableaux, à corriger des milliers de fautes d’orthographe et à confectionner des stencils...

Ouarg !!! Je m’étais promis de ne plus jamais écrire ou prononcer ce mot tabou : sten… raaah ! Vade Retro !

Il s’agissait de l’ancêtre de la photocopie. On écrivait sur une feuille qui possédait un double carbone et l’on tirait ensuite l’épreuve à la machine à alcool qui, une fois sur deux, vous fusillait votre travail qui était bien sûr à recommencer. 

Des heures, je vous dis ! A cette époque, les ouvriers et employés marnaient quarante heures par semaine, les veinards ! Et rentré dans mon logement de fonction mal chauffé lui aussi, je retrouvais mon épouse et nous parlions de quoi ? Du boulot ! 

Instituteur à la campagne, c’est de l’immersion profonde. Perdu dans le milieu de l’Orne là où il y a plus de canassons et de bovins que d’habitants, je devenais un enseignant.

Roulant en Renault assurée MAIF, je me meublais CAMIF et je lisais Télérama et la Hulotte. Ne riez pas, c’est de la survie…

******

Les gamins à la campagne n’étaient pas bien grimauds et plutôt obéissants. Les parents, c’était une autre paire de manches, ils nous trouvaient trop jeunes, nous ne ressemblions pas à leur anciens instituteurs costard gris et chignon strict…

Les premiers contacts avec les tribus locales furent rudes, d’autant plus que je n’avais pas pris diplomatie seconde langue en option à l’Ecole Normale. J’ai même réussi à me faire convoquer à l’Inspection à la suite d’une plainte déposée par le vétérinaire local dont j’avais les deux filles en classe et qui n’était pas satisfait de mes options pédagogiques. 

En fait, il n’était pas satisfait de se faire envoyer péter. Colossale erreur, un véto dans le pays du cheval, c’est le Bon Dieu, malheureux !

Eh bien, j’eus la surprise de voir arriver avec moi à l’Inspection un groupe de parents d’élèves que je n’avais pourtant jamais caressé dans le sens du poil et qui étaient venus spontanément me défendre face à l’administration. Ils appréciaient mon boulot et ne trouvaient rien à redire à ma pédagogie.

Cela étant dit, l’inspecteur referma le dossier de plainte et me serra la main. Incident clos. 

J’avais, en ce début de carrière, eu des accrochages parfois rudes avec ces gens mais je m’apercevais qu’ils ne m’en voulaient pas parce que, tout simplement, je m’occupais de leurs enfants.

Lors de ces premières années à la campagne, j’ai beaucoup appris… Certainement plus que mes élèves.

 Dessin Chaunu


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1 commentaire:

  1. J'ai lu avec interet, j'apprecie toujors votre humour et je confesse en avoir eu une expérience similaire qui m'a fait quitter pour toujours l'enseignement, soit-il a la campagne ou dans la ville.

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