mardi 29 mars 2011

Naguère, des écoles - Episode 4

Classe unique



Les premières années, vous prenez ce qu’on vous donne. C’est comme ça que je me suis retrouvé en classe unique pendant un an dans un des coins les plus jolis de la forêt d’Ecouves.
 
Joli et préservé. Préservé du temps, semble-t-il, car l’école n'avait pas l'air d'avoir changé depuis 1880 : un bâtiment unique abritant la mairie et l’école, pourvu d’une entrée nord et d’une entrée sud, chacune débouchant sur deux cours : la cour des garçons et la cour des filles. 

En effet, si l’enseignement avait toujours été mixte pour cause d’effectif réduit, les sexes étaient anciennement séparés au moment des récrés, certainement à cause du passage aux toilettes. 

Seule la plus grande des cours, devenue mixte, servait encore et avait gardé ses toilettes visiblement datant des années 50… au mieux. Un broc situé sous un robinet m’y interpella dès le premier jour de classe. Les enfants m’expliquèrent que c’était pour la chasse d’eau.

A l’intérieur, une grande salle au plafond stratosphérique, des pupitres visiblement faits localement par un menuisier certainement décédé avant l’invasion allemande et un chauffage manifestement insuffisant comme dans toute bonne école de campagne de l’époque (on est quand même en 1981).

Comme rangement, j’avais d’énormes armoires normandes dans lesquelles je m’attendais à trouver les ossements de Jules Ferry ou presque... Presque, en fait, car le registre matricule déniché sous une pile de paperasses remontait à 1882. C’est ainsi que je m’aperçus que l’école avait longtemps abrité de nombreux enfants de l’assistance publique de Paris employés comme esclaves dans les fermes locales.

Je pus constater que les enfants des fermiers fréquentaient l’école régulièrement alors que les gamins de l’assistance la manquaient fréquemment au moment des gros travaux agricoles ou forestiers car le village, adossé à la forêt, comptait pas mal de bûcherons.

C’est avec un certain étonnement que je lus les commentaires de mes collègues des temps anciens sur ces enfants. Jugements plus que commentaires : « Enfant sournois… méchant… incapable d’apprendre à lire… fainéant… »

On était loin des fictions républicaines diffusées sur FR3 où le gamin abandonné s’en sortait grâce à la bienveillance d’un brave instituteur garant des valeurs d’une société égalitaire. Ces enseignants étaient durs. Leur monde ne devait pas être facile.

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Ah, j’avais aussi des élèves. Douze exactement : une petite en maternelle, deux CP, trois CE1, trois CE2, deux CM1, et un seul CM2 qui se vantait tout le temps d’être premier de la classe. 

Sur ce petit effectif, j’avais un quart de gosses de l’assistance de Paris heureusement bien traités par des nourrices professionnelles : Un pauvre petit CP chétif, manifestement conçu sous alcool ou drogue et deux frères métis dont la mère venait de mourir des suites de mauvais traitements de la part du père. On pourrait espérer commencer mieux dans la vie...

Ces deux gamins colorés m’avaient valu une visite de la femme du maire, ancienne institutrice, qui m’avait demandé de faire une leçon de morale et d’histoire à mes enfants sur le sujet de la restauration des vitraux de l’église (qui abritait le monument aux morts du village en son sein !). Réagissant à mon regard plutôt interrogatif, la collègue à la retraite précisa :

« Si je vous demande ça, c’est pour que les enfants respectent les vitraux et ne leur lancent pas de cailloux. Bien sûr, ça ne viendrait pas à l’idée de nos enfants mais vos deux rastaquouères ont besoin qu’on leur explique. »

Dans sa bouche, le terme était employé dans l’acception début vingtième : étranger de provenance douteuse et non rastafari comme actuellement.

Là, la petite dame a senti un vent froid, comme si on avait oublié de fermer la porte du congélo. Le mot vitrail ne fut évoqué cette année-là que lors de la leçon sur le pluriel des noms avec soupirail, travail, émail, corail et le formidable ail dont le pluriel épicé est aulx.

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Les enfants étaient plutôt autonomes mais le niveau était moyen. J’étais le troisième instit en trois ans et un quatrième allait suivre après moi. Cela nuisait à la continuité pédagogique de ce type de classe qui nécessitait une planification sur plusieurs années.

Je me souviens cependant de ma petite CP, une blonde à joues rouges, archétype de normande qui était d’une intelligence surprenante et qui apprit à lire en six mois alors que son collègue ramait comme un malheureux. 

Cette mignonne enfant en blouse et robe à carreaux souffrait d’une forme particulière d’épilepsie qui lui provoquait des absences tout à fait spectaculaires. La fille de CM1 était chargée de s’occuper de ces moments de crise en interceptant sa petite camarade et en l’emmenant aux toilettes. Bizarrement, une fois qu’elle avait fait pipi, l’enfant retrouvait toutes ses capacités et, comme tout épileptique, ne se souvenait de rien.

La famille ne se souciait pas de ce problème et la petite n’avait jamais consulté de neurologue ni passé d’électroencéphalogramme, chose que je conseillai aux parents.

A propos d’enfant très intelligent, il y en avait un deuxième. Le garçon du CM1 avait un niveau très supérieur à celui du CM2. Ce blondinet aux cheveux longs comprenait tout et mémorisait tout. Il avait juste une particularité gênante, il s’endormait chaque début d’après-midi pendant une petite demi-heure. Je le laissais faire.

J’eus, au bout d’un moment, l’explication de cette sieste quotidienne : dans sa ferme, on déjeunait au cidre. Pas du cidre de supermarché, non. Du vrai cidre de ferme tiré à la qu’nelle. Le gosse était bourré chaque midi et récupérait en classe. Cela ne nuisait pas à son intelligence mais il perdait ses cheveux.

J’eus beau faire une leçon sur les méfaits de l’alcool chez les enfants, je ne fus pas compris. A l’instar de la bière chez les Ch’tis, chez nous le cidre ce n’est pas de l’alcool.

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De cette année, j’ai le souvenir de levers de soleil sur la plaine qui, de mon promontoire semblait une mer de nuages, j’ai le souvenir de hardes de cervidés paissant dans les prés de la lisière, j’ai le souvenir d’une parenthèse hors du temps. 

L’année suivante, je retournai dans la plaine.



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