mardi 26 avril 2011

Naguère, des écoles - Episode 8

La claque !



Je suis né citadin et, tout naturellement, je retournai à mes racines après une douzaine d’années d’enseignement à la campagne. 

Quand on n’a qu’une petite ancienneté en arrivant en ville, on ne trouve pas nécessairement les postes les plus confortables. C’est comme cela que je me suis retrouvé dans une école en zone sensible.

Une zone sensible, c’est comme une ZEP (zone d’éducation prioritaire) mais sans les moyens supplémentaires.

Pour le coup, l’école n’était pas familiale : douze postes d’instits plus une directrice plus le personnel de service. Et je ne compte pas la maternelle qui se trouvait de l’autre côté de la rue.

Pas de famille non plus au niveau des collègues. Comme disait mon grand-père, ici c’était au plus fort la pouche ! En salle des profs, les plus anciens dictaient la loi aux arrivants dans le bruit et la fumée de cigarette.

C’est comme cela que moi et mon épouse avions hérité des deux seules classes à double niveau de l’école. J’étais particulièrement gâté avec tous les cas difficiles du CE2 et du CM1 que les collègues à niveau simple avaient bien voulu me distribuer. Mais, après tout, c’était des enfants et c’était mon boulot…

Premier jour de classe, le temps que je fasse l’appel de la cantine, les gamins étaient sur les tables ou se fritaient dans les allées entre les rangs. Matinée houleuse ! Mon dernier poste en campagne avec des petits ruraux bonnes pâtes ne m’avait pas habitué à cela.

Le midi, le nez dans nos petits pois, mon épouse et moi faisions une drôle de tête. A un moment, nous nous sommes regardés et nous nous sommes compris : c’était eux ou nous… Ce sera nous. Ça allait péter dans les rangs !

La reprise en main fut rapide, nous n’avions jamais eu l’habitude de nous laisser marcher sur les pieds… L’expérience sportive en self-défense de ma femme lui fut même utile pour s’imposer physiquement auprès de garçons peu habitués à obéir à des femmes.

Quant à moi, je retrouvai mon penchant naturel pour la combativité et je dressai (il n’y a pas d’autre mot) rapidement ma classe. Au niveau scolaire, ce n’était pas bien fameux mais on obtenait des résultats…

Il faut dire que la population du quartier était constituée de ce qu’on appelle le quart monde. La pauvreté y faisait des ravages et parents et enfants étaient souvent en triste état. La plupart du temps, les dégâts sur les familles étaient dus à une consommation immodérée d'alcool, puissant désinhibiteur dont les gosses étaient généralement les victimes directes ou indirectes.

Ceux qui s’en tiraient le mieux, c’était souvent les enfants d’immigrés qui étaient généralement mieux traités par leurs parents. 

Je me souviens particulièrement des mes deux petits berbères passionnés d’histoire et qui m’avaient poussé à étudier de manière plus approfondie les rapports entre l’Islam et les royaumes chrétiens au moyen-âge. Ils étaient fiers d’apprendre que l’armée d’Abd-Al-Rahman qui eut un différend avec Charles Martel en 732 était composée presque exclusivement de Berbères comme eux. Ils furent par contre étonnés d’apprendre que le grand Salâh ad dîn (Saladin) qui délivra Jérusalem était un Kurde.

Je me souviens de V… qui ne parlait pas un mot de français en arrivant du Vietnam et qui était si bon en maths ainsi que de D… et de sa face de lune souriante de Hmong si vif et si intelligent.

Finalement, tout n’était pas si noir et si les enfants étaient vraiment fatigants, ils étaient attachants dans leurs forces, leurs faiblesses et leurs différences.

******

Au bout d’un an, ma réputation d’instit à poigne avait fait le tour de l’école et c’est comme cela qu’on me refila F… qui avait envoyé en congé maladie sa maîtresse d’une petite école d’un village de la Sarthe.

Ce blondinet nerveux au visage tendu et au regard dur avait été abandonné par sa mère et, après bien des tribulations, il fut placé chez une nourrice en zone rurale. Comme son comportement erratique et très violent avait mis le bazar dans sa petite école tranquille, on s’était dit : mettons-le dans une école où il y a des problèmes, ça se verra moins. Ben voyons… 

« Il a besoin d’un gars, me dit le responsable de l’enfance inadaptée, avec toi, il va comprendre… »

Tu parles qu’il va comprendre, F… était toujours prêt à la bagarre et malgré mon autorité naturelle, j’avais bien du mal à le contenir.

Un jour qu’il avait décidé de me pousser à bout, il se mit à jouer aux billes dans les escaliers de l’école, transformant chaque agathe en dangereux projectile rebondissant. 

Avant d’attraper le gamin je lui confisquai déjà ses billes en lui signifiant qu’il ne les reverrait plus. Il me regarda de ses yeux métalliques et me lâcha un sonore : « Enculé connard ! ».

En deux enjambées, j’étais à sa hauteur et je lui décochai un claque qui le sécha instantanément. Il me regarda d’un air à la fois étonné et furieux. J’avais osé le toucher ! Ce gosse, privé de l’affection si charnelle d’une mère dans les débuts de son enfance avait développé une détestation de tout contact physique. J’avais osé le toucher et violemment, en plus !

Ce geste qui pourrait me valoir actuellement une garde à vue n’était pas encore considéré comme un crime mais je me sentis cependant un peu mal à l’aise.

Je m’ouvris rapidement de l’incident à l’éducateur de l’enfant qui me permit d’user de ce genre de coercition si nécessaire mais je n’en eus plus besoin. Dès que F… faisait preuve de violence envers les autres, je levais la main et il plissait des yeux puis se calmait.

Nos rapports finirent par s’améliorer et comme le CE2 ne s’était pas si mal passé, on remit le couvert pour le CM1. 

Comme le renard du Petit Prince, F… s’apprivoisait progressivement. Il n’y avait pas pour autant de marques d’affection de sa part mais un modus vivendi acceptable.

Mon dernier souvenir de F…, petit garçon de silex,  fut le plus émouvant...

Alors que le CM1 était bien avancé, nous étions dans une activité de travail manuel et je l’aidais à réaliser son ouvrage. Nous étions très proches physiquement l’un de l’autre et je m’attendais à ce qu’il s’écarte. Alors que nos mains étaient posées sur la table, F…, au lieu de fuir comme à l'accoutumée,  écarta le petit doigt de sa main droite jusqu’à ce qu’il atteigne le dos de ma main qu’il caressa furtivement deux ou trois fois. Je restai prudent et ne réagis pas hormis un sourire en coin. 

Je pris cela comme une marque d’affection. C’était sa manière à lui de me montrer qu’il ne m’en voulait pas, finalement…

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